burundiAu Burundi, les blogueurs-journalistes de « Yaga », plateforme soutenue par Waza, tentent de garder un œil critique et une certaine liberté de ton dans leur couverture de la crise politique. Réfugié à l’étranger, Armel Gilbert Bukeyeneza, leur coordinateur, témoigne de leurs conditions de travail.

Jeune Afrique : Comment travaillent les journalistes au Burundi aujourd’hui ?

Armel Gilbert Bukeyeneza : Après le coup d’État manqué les radios ont été brûlées ainsi qu’une télévision. Seuls médias indépendants encore en activité, Iwacu et un groupement de journalistes, SOS Médias Burundi font régulièrement face à des violences. Les journalistes encore au Burundi prennent un grand risque.

Comment Yaga réussit-elle à faire face ?

Notre travail est plus délicat car notre rôle n’est pas seulement d’informer, mais de donner notre opinion, d’analyser ce qui se passe et de faire entendre la voix des jeunes dans ce conflit. Du coup, on attire vraiment l’attention du public. Nous avons lancé la campagne #JeSuisArusha contre le troisième mandat. Notre photo a fait le tour de la planète. Certains d’entre nous ont reçu des menaces. Il y a une vraie chasse aux sorcières à l’encontre de ceux qui s’opposent à un 3e mandat. Si quelques uns d’entre nous sont à l’abri à l’étranger, une trentaine de « yagistes » continuent à travailler principalement à Bujumbura mais aussi à l’intérieur du pays, à Ngozi, Gitega… Plusieurs d’entre nous signent sous pseudonyme parce que cela devient difficile d’écrire des textes engagés. Il y a vraiment des risques pour les blogueurs.

Beaucoup dénoncent le rôle de la jeunesse du parti au pouvoir, les Imbonerakure, dans les violences au Burundi. Est-ce une accusation sérieuse ?

C’est le sujet le plus sensible. C’est très difficile de déterminer qui est Imbonerakure et qui ne l’est pas. Ce que j’ai vu, c’est que la police a pu travailler de mèche avec eux. Ils portaient les tenues de policier et aideraient la police à mâter les manifestants. Certains disent même avoir vu des Imbonerakure en tenue militaire.

Le CNDD-FDD (parti au pouvoir) dénonce une rébellion qui se préparerait depuis le Rwanda. Les gens ont peur.

 

Cela ne tient-il pas du fantasme ?

Dans certains cas, cela peut arriver. Mais il y a des images de gens en tenues policières qui ne sont pas des policiers. Ça, on l’a vu.

La mobilisation dans les campagnes est-elle la même qu’à Bujumbura ?

Dans les campagnes, il est difficile de savoir ce qui s’y passe avec exactitude. Le pouvoir les a coupées du reste du monde en détruisant les radios, leur principale source d’information. Les blogueurs qui sont à l’intérieur du pays sont plutôt dans les petites villes (Ngozi, Gitega). À Mukike par exemple, le mouvement réprimé violemment était véritablement contestataire. Mais les attentes entre les zones rurales et Bujumbura ne sont pas les mêmes. Les campagnes souhaitent essentiellement l’assurance de la stabilité et de la sécurité alors qu’en ville une grande partie de la jeunesse est frustrée par l’inaction du pouvoir à leur égard durant ces dix dernières années.

Les manifestations faiblissent ces derniers jours. La population a-t-elle abandonnée ?

Du tout ! Les manifestants étudient d’autres moyens de lutte. Le leader Pacifique Nininahazwe a par exemple lancé la campagne pour inciter les Burundais à cesser de consommer de la bière afin que le gouvernement manque de fonds. Dans la population, certains affirment que si beaucoup de manifestants ne sont plus dans les rues, c’est parce qu’ils se constitueraient en un groupe rebelle à l’extérieur de la capitale. Le CNDD-FDD (parti au pouvoir) dénonce lui une rébellion qui se préparerait depuis le Rwanda. Les gens ont peur.

Après des mois de violence et une situation qui semble insoluble, ne faudrait-il pas laisser s’organiser les élections ?

Le problème vient de la crédibilité de ces élections. Tous les observateurs crédibles sont partis ainsi que les bailleurs, des membres de la Ceni ont pris le large et ont été remplacés de manière opaque. En plus, accepter ces élections avec la candidature de Pierre Nkurunziza, c’est revenir sur les accords d’Arusha. Si l’on a pu avoir pendant toutes ces années la liberté d’expression, la diversité médiatique, des corps de défense et de sécurité qui rassurent, c’est grâce à ces accords. Dire qu’on peut s’en passer, ce serait une grande marche arrière dans le processus de paix et de réconciliation pour le Burundi.