Emmanuel-Karenzi-Karake-webArrêté le 20 juin à Londres, le général Karenzi Karake, chef des services de renseignement rwandais, est soupçonné par la justice espagnole d’avoir une responsabilité dans la mort de neuf Espagnols au Rwanda en 1997. Mais pas seulement.

Tout le monde a été pris de court lorsqu’un porte-parole de Scotland Yard a confirmé mardi l’arrestation du général rwandais Emmanuel Karenzi Karake à Londres. Selon lui, le chef des services de renseignement du Rwanda avait été arrêté trois jours plus tôt, le 20 juin à l’aéroport d’Heathrow, aux environs de 9 heures 45, par les agents de l’unité d’extradition de la police londonienne.

Âgé de 54 ans, Emmanuel Karenzi Karake dit « KK » était, avec 39 autres officiers rwandais, sous le coup d’un mandat d’arrêt européen émis par l’Espagne. La procédure judiciaire a été ficelée en 2008 après des enquêtes sur la mort ou la disparition de neuf Espagnols parmi lesquels trois travailleurs humanitaires de l’ONG Medicos del Mundo assassinés en 1997. Mais elle inclut également « des crimes de guerre contre des civils » au Rwanda et en RDC voisine, a rappelé le porte-parole de Scotland Yard.

Normalement, les accusations initiales de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre à l’encontre du général rwandais Karenzi Karake et consorts ont été classées.

Problème : depuis 2014, une loi controversée a été adoptée en Espagne restreignant le concept de justice universelle, qui permettait aux tribunaux espagnols d’enquêter sur des faits commis en dehors du territoire national. « Normalement, les accusations initiales de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre à l’encontre du général rwandais Karenzi Karake et consorts ont été classées », a confié à Jeune Afrique une source diplomatique européenne proche du dossier.

Du côté de Human Rights Watch, on estime que « les choses sont beaucoup plus complexes ». « Nous ne sommes qu’au début de la procédure d’interpellation : attendons de voir déjà si le général Karenzi Karake sera extradé, ou non, vers l’Espagne », estime Carina Tertsakian, l’une des responsables de l’ONG américaine des droits humains basée au Burundi, qui suit l’affaire de près. En attendant, quels sont les soupçons qui continuent à peser sur l’officier rwandais ?

  • Génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre ?

Si elle reconnaît « une certaine mérite » à la procédure judiciaire engagée par l’Espagne contre une haute autorité militaire rwandaise, Carina Tertsakian regrette néanmoins que « l’acte d’accusation contre le général Karenzi Kareke se présente comme un regroupement de plusieurs accusations étalées sur une très large période ».

Le général Karenzi Karake serait responsable des crimes commis par les services de renseignement rwandais (DMI) à Kigali et dans le reste du pays entre 1994 et 1997.

Au départ, avant la réforme de la législation espagnole en matière de justice universelle, le chef des services de renseignement rwandais était en effet soupçonné de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre.

« Il serait responsable des crimes commis par les services de renseignement rwandais (DMI) à Kigali et dans le reste du pays entre 1994 et 1997, y compris les assassinats politiques d’opposants importants tels que Emmanuel Gapyisi et Félicien Gatabazi », peut-on lire sur l’acte d’accusation initial. Le document précise entre autres que le général Karenzi Kareke « serait le responsable direct de massacres et d’extermination de la population hutu à Nyakinama et à Mukingo [sur le territoire rwandais] » et qu’il est également « soupçonné d’avoir ordonné des opérations contre les civils hutus [au Rwanda et en RDC], et de massacres systématiques des expatriés […] ».

C’est ce volet de l’affaire qui aurait été classé, en application de la nouvelle législation espagnole en matière de justice universelle.

  • Crimes de terrorisme ?

Quant aux « crimes de terrorisme » concernant la mort ou la disparition de neuf Espagnols parmi lesquels trois travailleurs humanitaires espagnols assassinés à Ruhengeri, dans le nord du Rwanda, en 1997, la justice espagnole demeure compétente pour poursuivre ses investigations, selon une source diplomatique à Bruxelles.

Une évolution qui conduit Olivier Nduhungirehe, fraîchement nommé directeur général intérimaire en charge des relations multilatérales au sein du ministère rwandais des Affaires étrangères, à considérer qu’il s’agit là d’une « preuve supplémentaire que l’affaire est politique ». Et le diplomate de dénoncer un « acharnement » contre le général Karenzi Kareke, accusant « les ONG à la base de cette procédure judiciaire d’avoir collaboré avec des FDLR [rebelles rwandais des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda, actifs dans l’est de la RDC], selon un rapport de groupe d’experts onusiens de 2009″.

  • Assassinat de prêtres québécois au Rwanda ?

Dans l’acte d’accusation initial, il est également fait mention de l’assassinat de deux prêtres québécois : les pères Claude Simard et Guy Pinard.

Le premier a été tué à coups de marteau dans la nuit du 17 au 18 octobre 1994 à Kigali. Un crime qui aurait été commandité par Fred Ibingira, alors commandant du 157e bataillon de l’Armée patriotique rwandaise, selon la justice espagnole.

C’est à propos de l’assassinat du second prêtre, tué en pleine messe devant ses paroissiens le 2 février 1997 à Kampanga, que le nom du général Karenzi Kareke est cité. Il en est de même du meurtre de cinq officiers de la Mission d’observation du Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations unies et de la blessure par balle d’un travailleur humanitaire américain pendant la même période.

« Des accusations sans preuve », affirme une fois de plus Olivier Nduhungirehe, dénonçant le caractère « fourre-tout » du mandat lancé en 2008 par l’Espagne contre le général Karenzi Kareka.

  • Massacre des civils à Kisangani, dans le nord-est de la RDC ?

D’autant que l’officier rwandais est également cité dans les massacres de civils à Kisangani, lors de la « guerre de six jours », début juin 2000, entre les Forces de défense rwandaises (RDF) et les forces ougandaises dans cette ville située dans le nord-est de la RDC.

« Le général Emmanuel Karenzi Kareke était bien l’un des commandants des RDF au moment de ces affrontements », affirme Carina Tertsakian. C’est d’ailleurs sur la base de la responsabilité présumée de cet officier rwandais dans le massacre des civils à Kisangani que Human Rights Watch s’était élevé en 2007 contre sa nomination comme commandant adjoint de la Force de l’ONU et de l’Union africaine au Soudan (Minuad). Fonction qu’il finira par quitter en avril 2009.

Aujourd’hui, quinze années après la « guerre de six jours », Dismas Kitenge, président de Groupe Lotus, une ONG congolaise de droits de l’homme et vice-président de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), se dit satisfait de voir « l’un des auteurs présumés des massacres de civils de Kisangani aux arrêts » et « espère que Kigali acceptera de coopérer avec la justice espagnole pour la bonne administration de la justice ».