1256127_3_5c1a_moussa-dadis-camara-le-30-septembre-2009-a_b99ef9820a424d7822b4edba46197634L’ancien dictateur guinéen revient sur les écrans avec le bagout et le sens du scandale qu’on lui connaît. Il menace de rentrer au pays et de se présenter aux prochaines élections présidentielles. Est-il sérieux ou veut-il simplement jeter un pied-de-nez aux pachas et aux bien-pensants ? Un pied-de-nez au gouvernement guinéen à la justice si douteuse et à la gâchette si facile ? Un pied-de-nez à la CPI, cette cour internationale subjective et controversée, en mal de sérieux et de crédibilité ?

Et s’il s’agissait d’un pied-de-nez aux journalistes besogneux et aux diplomates lambda qui soutiennent sans rougir le régime d’Alpha Condé, un régime qui – par ses discours tribalistes et sa répression sauvage – ressemble pourtant point par point à ses funestes prédécesseurs. Ce serait vraiment cocasse si la seconde hypothèse s’avérait être la bonne…

Pensez donc ! Le 28 septembre 2009, l’armée abattait 157 innocents et violait en plein jour des centaines de femmes. Le putschiste Dadis Camara exerçait alors la fonction de président de la République. Il fut aussitôt, et à juste titre, mis à l’index aussi bien par l’opinion que par la justice internationale, sans jamais se faire inquiéter.

Et l’on apprend soudain qu’une inculpation en bonne et due forme vient de lui être notifiée, près de six ans après les faits : pourquoi maintenant et pourquoi si vite ? Pour garantir le bon ordre et le droit ou pour sauver un régime aux abois ?

La question mérite d’être posée dans un monde en dérive où les beaux principes juridiques et moraux ne sont plus que des béquilles à l’usage de quelques privilégiés. Surtout en Guinée où l’Etat est célèbre pour ses coups tordus et ses pulsions sanguinaires. Mais puisqu’il s’agit de Dadis, revenons-y.

Il va de soi qu’il bénéficiait jusqu’ici de tous ses droits, qu’il était libre de ses mouvements. Il pouvait, en toute quiétude, briguer la présidence et nouer pour se faire des alliances avec le parti de son choix. Les victimes en seraient encore une fois mortifiées. Le bon sens et la morale en prendraient un grand « pan sur le bec ».

Mais que voulez-vous ? Le droit, c’est le droit ! Monsieur Alpha Condé, le président, et Madame Bensouda, la procureure de la CPI, tous deux juristes, le savent mieux que quiconque. Alors, pourquoi tant de bruits ? Pourquoi ces cris d’orfraie ? Pourquoi ces sermons du Père Bourdaloue ?

La réponse est simple : parce que le « pestiféré » de Ouagadougou a misé sur le mauvais cheval, à savoir Cellou Dalein Diallo, le chef de l’opposition. S’il avait, comme en 2010, pactisé avec Alpha Condé (c’est Papa Koly Kourouma son propre ministre de l’environnement, qui le révèle), le lobby international au service du pouvoir de Conakry aurait applaudi des deux mains.

Claude Pivi et Thiegboro Camara, deux anciens ministres de Dadis, nommément cités dans les massacres de 2009, occupent depuis cinq ans d’importants portefeuilles dans le gouvernement actuel. Qui s’en offusque ? A la présidence comme dans les cabinets ministériels, ce sont les anciens sbires de Lansana Conté qui entourent aujourd’hui Alpha Condé alors qu’hier, ils l’humiliaient et le torturaient. Qui s’en offusque ?

Le citoyen bidule

En vérité, loin de personnifier l’incube idéal, Dadis serait plutôt le bon pion que chacun cherche à déplacer à son profit. A La Haye, pour des raisons qui resteront à jamais obscures pour le citoyen bidule, condamné à se répéter inlassablement la question sans réponse : « Pourquoi s’est-on pressé d’inculper Gbagbo et pas Dadis ? » A Conakry, pour des raisons évidentes de real politik.

En Guinée, il n’échappe à personne que, ange ou démon, Dadis reste populaire en Guinée forestière, sa région d’origine qui pèse entre 10 et 15 % de l’électorat. Un véritable pactole en cas de second tour, dans un pays où le vote est clanique, ethnique ou régional.

Il n’échappe à personne que tous les hommes politiques guinéens, à commencer par Alpha Condé, caressant l’espoir d’une alliance avec le diable, lorgnaient le chemin de Ouagadougou. Cellou Dalein Diallo (qui, rappelons-le, a failli perdre la vie lors de ces sinistres évènements) n’a nullement vendu son âme. Il a simplement joué un joli coup de poker. Il a pris les devants et coupé l’herbe sous les pieds de ses petits camarades.

C’est cette nouvelle donne inattendue qui a semé la panique à la présidence guinéenne et peut-être surtout dans les bureaux de Madame Bensouda. D’où cette inculpation précipitée, après des années d’inertie et de mauvaise foi.

Tierno Monénembo est écrivain guinéen, prix Renaudot 2008 pour Le Roi de Kahel (Seuil).

Source : www.lemonde.fr/afrique