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Aminata Touré est une femme politique sénégalaise. Militante pour les droits de l’homme et fonctionnaire à l’ONU, elle est ministre de la Justice de 2012 à 2013 puis Premier ministre de 2013 à 2014. Dans un message sur des réseaux sociaux, elle dénonce « l’ensauvagement de l’espace politique » au Sénégal. Un message valable pour le voisin guinéen, à notre avis. C’est pourquoi nous le reprenons pour nos lecteurs.

« Depuis quelques jours, chroniqueurs et commentateurs rivalisent de talent pour sonner le tocsin quant au désordre et à l’indiscipline des gouvernants et politiciens. S’il est vrai que nous, les politiciens, devons reconnaître beaucoup des faits qui nous sont reprochés, il serait totalement injuste de nous attribuer le monopole de l’incivisme. Regardons nous tous honnêtement dans la glace en tant que sénégalais, chacun dans son rôle, statut, fonction ou corps de métier, scrutons sans complaisance nos attitudes publiques et privés et sans fioriture aucune, faisons l’inventaire exhaustif de nos tares anti-émergence. Ainsi, pourrons-nous mieux définir le type de « vivre ensemble » que nous souhaitons bâtir dans le respect de nos différences et nos divergences aussi profondes qu’elles puissent être. S’il est vrai que ceux qui gouvernent ont la responsabilité première d’imprimer le tempo républicain en terme d’attitude et de comportement attendus d’hommes et de femmes d’Etat, il n’en demeure pas moins que tous les leaders, autrement dit tous ceux qui aspirent à diriger dans leur secteur de prédilection doivent s’appliquer la même rigueur comportementale. Réexaminons un instant nos rapports avec les autorités que nous nous sommes choisis par l’exercice du suffrage universel: très souvent, nous nous autorisons à leur égard des écarts de langage et de comportements qui choquent la plupart de nos amis étrangers. Nous renvoyons à nos plus jeunes compatriotes l’image d’une démocratie débridée proche de l’anarchie où sous prétexte de divergences politiques, judiciaires ou autres on peut tout se dire et n’importe quoi, sans conséquence. Ces quelques étudiants qui ont osé caillasser le cortège présidentiel ont décidé de passer à l’acte suite à des mois d’escalade verbale irrespectueuse voire injurieuse de personnalités publiques envers la première institution du pays, le Président de la République. Faut-il se rappeler des propos inqualifiables de l’ancien président Abdoulaye Wade d’il y’a juste quelques mois, invectives à l’endroit de son successeur qui ont choqué bien au-delà de nos frontières. Nul n’ose imaginer ce type de comportement ailleurs. Qui oserait caillasser les cortèges des Présidents Obama ou Hollande pour ensuite espérer poursuivre tranquillement le cours de sa vie? C’est à cet ensauvagement de l’espace politique qu’il convient de mettre un terme chez nous ici au Sénégal et cela sans délai. Les politiciens de tous bords, en commençant par nous de l’Apr, devons faire un profond examen de conscience et changer de comportement en actant à tout moment en hommes et femmes d’honneur afin que ceux que nous avons la prétention de diriger nous respectent. L’honneur étant une autoroute à double sens, les gouvernés, les sénégalais dans leur ensemble, sont également astreints à cette même obligation de respect et de courtoisie envers ceux qui les dirigent. Ceci ne nous empêcherait guère d’affirmer nos idées, certitudes et divergences avec vigueur et détermination. L’autre ne rappelait-il pas que même les déclarations de guerre s’énoncent avec politesse.

A nos amis de la presse, nous réaffirmons notre attachement à la liberté d’informer comme pilier fondamental de la démocratie mais vous êtes tout aussi concernés par cet examen de conscience dont le premier acte à saluer est la mise en place de votre tribunal des pairs qu’il vous reste maintenant à faire fonctionner efficacement. Entre amis, disons nous la vérité: les politiciens que vous stigmatisez ont leurs solides amitiés parmi certains d’entre vous et ne comptent que sur celles-ci pour exercer cette capacité de nuisance que vous pourfendez à juste titre ces jours ci. Force est de constater que colonnes et antennes leur sont très souvent ouvertes pour faire le buzz, comme on dit communément aujourd’hui. L’interpellation souvent peu cavalière par voie de presse de la première institution du pays est devenue si courante qu’on se demande si l’on n’a pas inconsciemment troqué le terme de Père de la Nation par celui de Compère de la Nation. Les mots « Président de la République » brûlent encore la langue de certains hauts responsables politiques qui n’ont toujours pas digéré la vérité sortie des urnes un certain 25 mars 2012. Lorsque la loi est appliquée aux contrevenants qui n’ont qu’injures et menaces comme programme politique à proposer, on dénonce un Etat policier. Laisser ce type de comportements prospérer ne ferait qu’affaiblir notre État dont la construction est toujours en cours même s’il est vrai qu’à terme, l’anoblissement, à défaut l’adoucissement des mœurs politiques passera par une réévaluation du type de rapports humains que souhaitent entretenir les hommes et femmes publics qui ont la prétention ou l’ambition de diriger les sénégalais. Ceux qui ont pour métier de rendre compte de l’activité des acteurs et protagonistes politiques que nous sommes, la presse en l’occurrence, a sa partition à jouer en refusant de prendre part à ce jeu destructif qui à terme non seulement affaibli nos institutions mais ruine tout autant la bonne réputation de notre pays perçu jadis comme une terre de cordialité et de civilité. En attendant notre introspection collective et individuelle, la loi doit s’appliquer sans coup férir à tous ceux qui pensent que démocratie rime avec anarchie, irrespect et désordre ».