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Tout n’est pas perdu mais rien n’est encore gagné pourrait-on se dire au regard de la démonstration de notre expert en questions de développement. Le président américain, Barack Obama s’est rendu fin juillet en visite officielle au Kenya pour vanter l’entreprenariat sur le continent. Il y a affirmé que « l’Afrique (était) en marche », que le continent devait être « le futur hub de la croissance mondiale ».

Ces affirmations sonnent justes tant la croissance actuelle moyenne sur le continent africain (5-6%) et celle envisageable à l’horizon 2050 (entre 15% et 20% – selon les analyses les plus optimistes), à l’aune de ses 2 milliards d’habitants attendus sont des réalités et perspectives attractives. Néanmoins, les réalités mises en exergue par le président américain, peuvent-elles être généralisée sur l’ensemble du continent ? Ce qui est vrai dans l’espace économique Comesa-Sadc-Eac l’est-il aussi dans l’espace Cedeao ?

Guinée : un chapelet d’atouts

De ce point de vue, la comparaison entre le Kenya d’Uhuru Kenyatta et la Guinée d’Alpha Condé semble exemplaire des occasions ratées d’ancrer de manière homogène et pérenne les modèles de développement socio-économiques qui ont fonctionné ailleurs sur le continent. Alors que la Guinée, à l’aube de son indépendance en 1958, était présentée comme le pays d’Afrique offrant les meilleures perspectives de développement, son produit intérieur brut (PIB) par habitant ne se situe en 2013, selon le FMI, qu’autour de 588 dollars, ce qui la classe parmi les vingt-huit pays les moins avancés (PMA). La Guinée était, au sortir de la période coloniale, une puissance agricole, forte de sa production de fruits et légumes tropicaux, de sa production de riz, de ses élevages de qualité, de son centre de recherche sur les fruits tropicaux qui faisait la fierté des Guinéens…

Hormis la bauxite qui représente 97 % des ressources en devises, les nombreux atouts du pays, notamment son industrie de transformation et son port en eau profonde parmi les plus modernes d’Afrique, n’ont pas été exploités avant et après l’indépendance de 1958. Véritable « Eldorado », dans l’espace économique ouest-africain, la Guinée semble, à contrario du Kenya, par exemple, se caractériser par un hiatus domestique qui en fait hélas encore un « pays riche, dans une Nation peuplée de pauvres ». La Guinée fait figure de gâchis au vu de son immense potentiel, notamment minier, qui n’est pour l’heure, pas assez exploité. Si l’avenir réside dans la sortie de la pauvreté, dans la hausse des revenus, dans la croissance de la classe moyenne, ainsi que dans la métamorphose de l’économie par l’exploitation des nouvelles technologies, comment dès lors, envisager les raisons, les responsabilités, les occasions manquées, les erreurs d’appréciations, qui n’ont pas permis à Conakry, à contrario d’autres nations africaines, de sortir de l’ornière dans laquelle se trouve ce pays ?

Kenya : des handicaps au départ, et pourtant…

Même si « comparaison n’est pas raison », il est intéressant, en effet, de comprendre comment le Kenya, bien que plus densément peuplé (42 millions d’habitants) que la Guinée (11,7 millions d’habitants) et représentant des échelles, d’à peu près, un pour deux en terme de superficie (580 000 Km2 pour le Kenya / 245 000 Km2 pour la Guinée), de densité d’un pour deux et demi (77 habitants/km2 pour le Kenya et 29 habitants/Km2 pour la Guinée) et indice de fécondité quasiment équivalent (5,5/5,6 enfants par femmes entre les deux pays), ont pris, depuis leurs indépendances des directions diamétralement divergentes. En témoigne, l’énorme différence en termes de PIB nominal. S’il est équivalent de 4344 dollars plaçant la Guinée à la 145ème place selon le classement établi par le FMI en 2013, il atteint près de 32500 dollars pour les Kenyans (95ème place) !
Les illustrations du retard guinéen

La mauvaise gouvernance politique et la corruption économique qui demeurent en Guinée restent les facteurs qui ont aggravé l’écart entre les deux pays au niveau économique : La Guinée demeure profondément inégalitaire, malgré l’espoir suscité par l’élection de 2010, quand le Kenya a su construire un modèle plus inclusif et plus équilibré. La Guinée, en effet, avec 55% de sa population de 11,7 millions de personnes, qui vit encore au-dessous du seuil de pauvreté, classant le pays, au 178ème rang sur 187 en termes de développement humain, avec une espérance de vie par habitant de 54 ans et un taux d’alphabétisation de seulement 41% (selon le classement établi par le PNUD) semble le parfait exemple des mauvais choix économiques et sociaux que les erreurs manifestes du leadership politique actuel confirment, aggravent et hélas pérennisent.
Les raisons du retard

Plusieurs raisons expliquent que le décollage économique de la Guinée n’ait pu se réaliser ; la première d’entre elles est que l’état de droit n’y est pas respecté et les droits de l’homme y sont régulièrement foulés du pied. Couplées à cela, les violences ethniques empêchent la stabilité politique de constituer la base du développement économique. De facto, l’on est en droit de se demander si la gestion administrative, micro et macro-économique par le président Alpha Condé, depuis son élection contestée et controversée en 2010, est la bonne pour que la Guinée accède enfin à son statut trop longtemps contraint de nation émergente. Plusieurs questions méritent ainsi d’être posées : le respect de la propriété, de la règle de droit, de la responsabilisé sociale, du libéralisme, tant sur le point économique que politique, ont-ils été suffisamment soutenus ? Il convient ainsi d’ajouter que le désastre sanitaire provoqué par Ebola et sa gestion erratique par la classe politique en Guinée, au Libéria et au Sierra-Leone a largement induit une perte de souveraineté sur la pratique des soins et la lutte en amont contre l’épidémie. L’attention internationale s’est ainsi portée, avec diligence, sur la Guinée. Les carences d’infrastructures et la pauvreté ont été pointées du doigt, à juste titre.
Tout n’est pas perdu à condition que…

La Guinée devrait donc être en mesure de passer le cap du développement pour accéder à l’émergence, à condition que les responsables politiques successifs prennent suffisamment en compte les mesures concrètes afin d’instaurer une gouvernance saine, ce qui serait notamment bienvenu en matière économique et ce afin de renforcer les capacités de son administration, qui a bien des égards, semble trop hétérogène, corrompue et mal gérée. L’on constate hélas que les conditions requises, voire minimales pour faire face aux enjeux de l’asymétrie et la mauvaise gouvernance politico-économique, ne sont pas réunies. Constat particulièrement préoccupant à l’horizon du processus électoral d’octobre prochain.

Des recommandations pour éclairer la route…

Le récent Livre blanc sur la Guinée, rédigé par l’Institut Prospective et sécurité en Europe (IPSE) insistait dans sa conclusion sur le fait que l’UE devait faire de l’Afrique un enjeu majeur dans le monde et qu’à ce titre l’UE devait aider et soutenir la société civile en Guinée, en particulier, et en Afrique, en général, afin qu’elle puisse prendre la parole et se mettre en configuration de peser davantage sur les choix politiques. Il est aussi de la grande responsabilité de la France que la Guinée ne sombre pas dans les violences ethniques post électorales à l’issue de l’élection présidentielle comme peuvent le laisser craindre le slogan « Tout sauf un Peul » agité par des partisans d’Alpha Condé et les manifestations réprimées dans la violence. Impliquer la société civile notamment en matière de lutte contre la corruption devrait ainsi être une exigence prioritaire, car partagée par tous les acteurs locaux, nationaux, régionaux, ainsi qu’au niveau euro-africain. Ceci aurait pour principale retombée de sensibiliser les populations à l’importance des industries extractives et à la nécessité de mettre en place une bonne gouvernance pour que l’ensemble de la population africaine puisse en bénéficier, de manière plus « inclusive ».

… pour le profit de tous

Il serait ainsi dans l’intérêt évident des partenaires économiques de la Guinée – en particulier, la France – de profiter d’un développement économique rapide qui permettrait à des sociétés leaders mondiales dans le traitement des eaux usées, de la gestion et protection de la biodiversité, des industries agro-alimentaires, de renouer avec des intérêts géoéconomiques bien connus de ces entreprises. Pour ce faire, le préalable est avant tout politique et dépend très largement des réorientations en matière macro-économique que devra faire le nouveau président après l’élection d’octobre prochain, car pour l’instant, bien des promesses sont restées « lettre morte » et bien des espoirs ont été déçus.

Michel Bousquet

Ancien directeur du département développement et coopération (DDC)