babacar justin ndiayeLa présidentielle guinéenne est cocasse, consternante et inquiétante. Elle place ce fabuleux pays au carrefour « du pleurer-rire », pour emprunter le titre d’un roman du Congolais Henri Lopès. En tant que révélateur photographique, le scrutin du 11 octobre dernier, a montré l’action des démons intérieurs et les agissements des ogres extérieurs. Les uns et les autres ayant combiné leurs efforts en vue d’abêtir éternellement la Guinée longtemps arriérée et les Guinéens profondément éprouvés par une tyrannie politique et un immobilisme économique à l’échelle de deux générations. De 1958 à nos jours.

Sans rire – par respect pour ce peuple voisin et frère – voyons la portion drôle et navrante du panorama électoral qui ne consolide pas, loin s’en faut, les précaires acquis démocratiques ! Une kyrielle de dysfonctionnements qui désolent les citoyens, disqualifient la CENI, évidemment coupable, et accablent l’appareil d’Etat, forcément responsable. Comment peut-on confectionner, en cette ère des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), des listes électorales sans ordre alphabétique ou numérique ? La soif du deuxième mandat et la volonté d’éviter la deuxième haie (le second tour) difficile à franchir, ont donné corps au slogan : « un coup KO ».

Question : cet unique coup met-il au KO le candidat vaincu Cellou Dalein Diallo ou plonge-t-il la Guinée dans le chaos ? Un KO peut hâter un chaos. Pour le moment, il y a une odeur persistante de victoire à la Pyrrhus qui agresse les narines. Une victoire à la Pyrrhus étant une victoire à l’issue de laquelle le vainqueur est aussi esquinté que le vaincu. D’où l’envie de pleurer sur le destin matraqué de la Guinée abonnée à la guigne.

La déception arrache, aussi, les larmes face à cet éternel Professeur, cet ancien opposant et actuel Président, Alpha Condé, qui octroie à son pays – surprenant paradoxe – un scrutin digne du trio bien connu d’analphabètes et de despotes que furent Lansana Conté, Gnassingbé Eyadema et Omar Bongo. L’influence maléfique du communautarisme ethnique et forcené est passée par là. Un vrai talon d’Achille qui a précipité le récent processus électoral, sur les pentes d’une chienlit orchestrée.

Les illustrations existent à foison. Par exemple, dans un bureau de vote, à Conakry, seules 10 personnes ont pu voter, en une heure. Ailleurs, le spectacle est plus effarant. Il s’agit, en vrac, du manque de kits, de la pénurie d’isoloirs, de la disparition des fiches d’émargement, de bourrages d’urnes et de l’irruption de chasseurs traditionnels armés de flèches dans des centres de vote normalement protégés par des gendarmes. N’empêche, le satisfecit (voire la certification internationale du scrutin) est promptement donné – avant la fin du comptage des bulletins – par l‘Union Européenne curieusement plus véloce que la CENI : « Les dysfonctionnements réels et les irrégularités constatées ne sont pas de nature à entacher les élections ». C’est, à la fois, hilarant et alarmant. Mais pas étonnant.

En effet, l’agenda de la communauté internationale est amplement amendé sinon bouleversé. Le discours de La Baule de 1990 (bréviaire de la politique africaine de François Mitterrand) est jeté aux orties. L’aide financière, le soutien politique et la protection militaire de la France ne sont plus tributaires de la bonne gouvernance, du progrès démocratique et du respect scrupuleux des droits de l’homme. La lutte contre le terrorisme – Aqmi et Bokko Haram en Afrique – et l’accès sans entraves aux richesses – le pétrole abondant  à Pointe-Noire et les métaux précieux du mont Simandou vers Nzérékoré – passent avant l’expression correcte du suffrage universel. En d’autres termes, le sermon de la Baule est remplacé par l’onction de Hollande. C’est du moins ce que dit, en substance et parfois en détails, le journaliste Christophe Boisbouvier dans son dernier livre.

En résumé, le pré-carré devenu obsolète est supplanté par des zones économiques et stratégiques rigoureusement dessinées et sécurisées. Tout comme la moche et caduque Françafrique est relayée par la belle et séduisante vitrine de l’Internationale socialiste, au sein de laquelle « les copains  Hollande, IBK, Issoufou et Condé » s’échangent régulièrement des SMS, d’après les révélations de l’interviewer emblématique de RFI, pompeusement baptisée « La Radio Mondiale » mais effectivement perçue comme « La Voix du Quai d’Orsay », nonobstant le professionnalisme admirable de ses rédactions.

Le tableau des convoitises économiques, le dispositif stratégique et la complicité entre dirigeants sont éloquents à cet égard. Au Niger, le Président Issoufou est un bon pote qui accorde une base de drones à l’US ARMY à Agadez et une enclave (Madama) à l’armée française, en plein désert. En outre, le Général Koré Laoual, patron des services secrets de Niamey, aide discrètement à la libération d’otages français retenus au Sahel. Des faveurs et des collaborations refusées, jadis, par Tandja Mamadou dont les relations avec Mme Anne Lauvergeon, ex-directrice d’AREVA, furent exécrables. Quant au Président malien Ibrahim Boubacar Keita, son copinage avec Hollande est sporadiquement éprouvé par la pomme de discorde que représente la région de Kidal convoitée par le lobby militaire français mais surveillée, comme du lait sur le feu, par la vigilante et nationaliste opinion publique de Bamako.

A l’aune de la nouvelle donne sus-indiquée, on comprend bien les déclarations et cerne mieux les attitudes de l’Union Européenne, en général, et de la France, en particulier, autour du scrutin guinéen. On apprécie, également, l’aplomb du Président Alpha Condé avant, durant et après le vote. Une superbe confortée par les initiatives intempestives de l’ambassadeur de France à Conakry, son Excellence Bertrand Cochery. Un chef de mission diplomatique qui a l’outrecuidance de dicter (au téléphone et sur un ton comminatoire) à un ancien Premier ministre, Cellou Dalein Diallo, la ligne de conduite à tenir, après la proclamation des résultats. Toujours boulimique en conseils et désinvolte en manières, le diplomate français a détaillé devant les micros des médias, les modalités légales de manifestations dans un Etat de droit. L’ambassadeur Cochery (Les Guinéens bourrés d’humour le surnomment « Son Excellence Cochonnerie ») ne prend-il pas la région de Faranah pour celle du Finistère ?

Visiblement, le parrainage de Paris semble être, aux yeux du Président Alpha Condé, le meilleur blindage face aux remous hostiles et aux tirs adverses. Ce n’est pas si sûr. Car, le deal avec l’Elysée peut produire des effets pervers. En effet, l’infantilisation politique et programmée des populations africaines induira, à la longue, une désintégration inexorable et, parfois,accélérée de pays dont la fragilité est structurelle. Cas de la Guinée. C’est d’autant plus vrai que le Gouverneur de Conakry a interdit simultanément aux militants du RPG de manifester leur joie, et aux sympathisants de l’UFDG d’exprimer leur colère. Convenez avec moi que cette directive préfectorale est cocasse en démocratie : « Vous les vainqueurs, cachez votre bonheur, vous les vaincus, masquez votre chagrin ! ». Un tel arrêté est le parfait baromètre de la crédibilité ou de la légèreté d’un scrutin. Et, surtout, du malaise gouvernemental. Il se passe de commentaire.

PS : Conakry était, en 1958, le haut lieu d’une retentissante collision franco-guinéenne, avec le fameux « NON » de Sékou Touré, adressé au Général De Gaulle. Cinquante-sept ans après, elle est le petit coin d’une collusion ou d’une connivence franco-guinéenne. A défaut de se répéter, l’Histoire fait des grimaces, à l’instar d’une vieille guenon. Même chose à Bamako où l’héritage de Modibo Keita cherche désespérément des épaules solides. Les pionniers de l’indépendance étaient des hommes peu diplômés (instituteurs, moniteurs, ouvriers etc.) mais imbus de dignité et soucieux de souveraineté nationales. D’où leurs tête-à-tête épiques avec les dirigeants français. Un demi-siècle après, les leaders actuels (censés être des lumières) ne tiennent plus la dragée haute, ils quémandent des parrainages parisiens.

BABACAR JUSTIN NDIAYE

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