francois-soudan-sept2012Quel est le secret d’Alpha Condé ? À 77 ans, le président fraîchement réélu de Guinée a l’appétit du jeune homme devant un Big Bucket de chez KFC. Une faim politique s’entend, une fringale d’action, car, côté table, celui qui s’honorait lors de ses années d’exil de cuisiner « le meilleur gigot de Paris » a la gourmandise d’un ascète.

Alpha mange peu, boit encore moins, mais n’est jamais aussi à l’aise que lorsqu’il mouille ses chemises Pathé’O sur les estrades de campagne. Et quelle campagne ! Des semaines à labourer la Guinée, en avion, en hélico, en 4×4, à pied, à tenir meeting, à dialoguer avec le peuple, à débiter bilan et programme sans jamais – ou presque – nommer ses adversaires, comme s’il feignait de les ignorer. Y a-t-il eu des fraudes ? Dans ce domaine comme dans d’autres, « la Guinée n’est pas le Danemark », a reconnu Condé et ont constaté les observateurs : oui, petits tripotages il y a eu, sans doute, de part et d’autre d’ailleurs, avec, dans ce domaine aussi, une prime au sortant.
Mais rien, manifestement, qui remette sérieusement en question la légitimité de ce « KO premier tour » arraché dans les ultimes rounds de la campagne, quand le président chef de chantier a appuyé sur le bouton du grand barrage de Kaleta après avoir fait travailler jour et nuit des brigades stakhanovistes d’ouvriers chinois et guinéens pour réussir ce coup de poker préélectoral. « Le communisme, disait Lénine, c’est les soviets plus l’électricité. » La Guinée, c’est Alpha plus la lumière : l’ancien dirigeant marxiste de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) appréciera la comparaison. Pendant des années, Condé a soulevé les poids d’une salle de musculation du 6e arrondissement de Paris, histoire d’entretenir sa forme de militant. Aujourd’hui, il a un coach sportif venu de New York. Cours Alpha, cours, le vieux monde est derrière toi…
Lorsqu’il écrit un roman, Monénembo cisèle sa plume et il me captive. Quand il polémique, peulitude en bandoulière, il la trempe dans le fiel
Comme beaucoup d’entre vous, j’apprécie l’écrivain guinéen Tierno Monénembo, 68 ans, Prix Renaudot 2008, douze romans au compteur, édité au Seuil depuis trois décennies. Mais pourquoi diable l’auteur de Peuls, du Roi de Kahel et du Terroriste noir, justement salués dans nos colonnes, se fourvoie-t-il en politique ? Pourquoi cette longue éructation vomie au lendemain de la réélection « simplement abjecte » d’Alpha Condé, accusé de « brûler le pays, falsifier la mémoire, démanteler les ethnies » ? Pourquoi traiter ceux qui ne pensent pas comme lui de « chefs d’État véreux, diplomates galeux, journalistes lèche-cul, mafia sicilienne » ? Pourquoi assimiler son combat à celui de « De Gaulle devant les nazis » [sic] ? Lorsqu’il écrit un roman, Monénembo cisèle sa plume et il me captive. Quand il polémique, peulitude en bandoulière, il la trempe dans le fiel. Et il me fait peur.
S’il lit les lignes qui précèdent, nul doute que Tierno Monénembo me clouera (si ce n’est déjà fait) au pilori de « cette saloperie d’internationale bureaucratique » qu’il appelle à balayer. Et avec moi le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, puisque IBK est un ami et un camarade du socialiste Condé.