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Résister jusqu’à la dernière minute dans une procédure de reconduite à la frontière peut s’avérer payant : une vidéo postée sur les réseaux sociaux mardi, montre un jeune Guinéen se débattre alors que des forces de l’ordre tentent de l’asseoir dans un avion pour Conakry. Son comportement lui vaut d’obtenir le soutien des passagers et d’être finalement débarqué.

La vidéo a été postée sur le profil Facebook d’un utilisateur guinéen, qui la présente comme ayant été tournée dans un avion reliant, le 28 décembre, l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle et la capitale guinéenne. On y voit d’abord l’homme assis sur un siège d’une rangée centrale, tenu et encerclé par deux officiers de la police aux frontières qui tentent de le calmer. Mais l’homme se débat avec de plus en plus de virulence. Plusieurs passagers, dont certains filment la scène avec leur téléphone, prennent son parti : « Doucement les gars ! », « C’est un être humain ! » entend-on. À 1’12, un membre du personnel de l’avion fait un geste de la main en direction des officiers et dit en anglais « Nous ne voulons pas qu’il vole avec nous […] Il ne peut pas venir dans ce vol ». Sur quoi, le jeune homme se relève, joue des coudes avec les officiers, avant que l’un d’eux ne le prenne à partie : « Maintenant t’as gagné, tu descends, tu te calmes, t’arrêtes tes conneries », lui dit-il, avant que l’homme ne soit effectivement conduit hors de l’avion.

Pour Julie Hollard, avocate spécialiste du droit des étrangers, le comportement de l’homme en situation de reconduite à la frontière est très probablement motivé :

Si le passager se débat et refuse d’embarquer, qu’il y a une tension avec les officiers qui l’accompagnent, les passagers de l’avion prennent très souvent fait et cause pour lui, comme c’est le cas ici. Le pilote ou un steward peuvent alors refuser de décoller, estimant que les passagers ne voleront pas dans des conditions sereines. C’est une pratique qui ne découle d’aucune disposition légale, mais elle est courante. Du coup, les officiers sont contraints de faire descendre la personne, qui est reconduite en centre de rétention administrative, ce qui amène à réexaminer sa situation devant le juge.

Une source policière, contactée par France 24, précise : « Si la personne ne se laisse pas faire, met des coups aux policiers, casse du matériel dans l’avion, le personnel n’acceptera pas de l’embarquer. Rien n’oblige la police à obtempérer, mais on ne peut envisager de passer tout le vol à se bagarrer devant les passagers ».

De cinq à 45 jours de rétention administrative

En France, les sans-papiers peuvent être arrêtés dans trois cas de figure : pour flagrant délit, contrôle d’identité après soupçon de délit, ou à la suite d’une réquisition du parquet pour effectuer des contrôles d’identité dans une zone géographique déterminée.

Le clandestin est ensuite conduit dans un commissariat. La préfecture concernée prend un arrêté de placement encentre de rétention administrative pour cinq jours. Dans ce laps de temps, la préfecture doit trouver un vol vers le pays d’origine et obtenir un laissez-passer de l’ambassade de ce pays. Si cela ne se produit pas, le juge des libertés et de la détention est saisi, et l’avocat du sans-papiers pourra essayer de soulever des vices de procédure. Le juge décide alors soit de le libérer, il pourra ainsi demander un titre de séjour via un avocat, soit le juge prolonge pour 20 jours son placement en rétention administrative, période durant laquelle il devra être mis dans un avion pour être reconduit dans son pays d’origine. Sans quoi, une nouvelle audience est organisée.

mes chers frères et sœurs, je besoin de vous pour prendre votre temps pour regarder cette vidéo ce qui se passe à l’un de notre frère Guinée en mouche de la France à la Guinée – Conakry le lundi matin

Posté par Damba Ish Kerfalla sur mardi 29 décembre 2015

Il reste qu’une fois dans l’avion, comme le montre cette vidéo, si la personne obtient d’être débarquée, elle est renvoyée en centre de rétention et repasse devant le juge des libertés et de la détention. Et si l’avocat parvient à prouver un manquement dans la procédure de la préfecture, le clandestin pourra être libéré. « Il est arrivé que des personnes soient ainsi finalement régularisées », précise Julie Hollard, alors même qu’elles avaient été sur le point d’être reconduites à la frontière. « Parfois, les personnes reconduites font semblant d’accepter le jugement jusqu’à l’arrivée dans l’avion, puis se mettent à crier et gesticuler pour s’attirer la sympathie des passagers », ajoute l’avocate.

Énergie du désespoir

Contacté par France 24, Amadou Coulibaly, membre de la l’Association malienne des réfugiés, explique que le comportement des personnes en situation de reconduite à la frontière est aussi dicté par un sentiment de désespoir à l’idée d’être ramenées dans leur pays d’origine.

En 2007, j’ai été contrôlé et arrêté en plein été et dans la cellule du centre de rétention, j’ai souffert de la chaleur, on ne me donnait que peu d‘eau. On me parlait mal, et je me souviens que la nourriture était infecte, un jour j’ai même trouvé des vers dans ma salade… C’est très éprouvant et cela met les personnes détenues dans un état de nervosité au moment de leur transfert à l’aéroport.

En plus d’être à fleur de peau en entrant dans l’avion, la perspective de rentrer au pays est terrible pour eux : certains risquent d’y être arrêtés pour des ennuis passés ; d’autres n’ont pas même fini de rembourser la dette qu’ils ont contractée pour immigrer en France et se trouvent dès lors dans une situation financière difficile ; pour d’autres encore, rentrer chez eux de cette manière c’est la honte, alors que parfois leur mère ou leur famille se sont saignées pour leur payer le voyage en France… Beaucoup jugent que leur expulsion est injuste : pour ma part, j’avais cotisé plusieurs années, je payais la Sécu, je participais à l’économie française. Et voilà, comment j’étais récompensé.

Selon des données publiées par le ministère de l’Intérieur, depuis 2009, entre 27 000 et 36 000 personnes sont reconduites à la frontière chaque année, le chiffre variant selon les années. Parmi ces reconduites, les éloignements forcés sont globalement en hausse. Ils concernaient 15 000 personnes en 2014. En parallèle, depuis 2012, le nombre de demandeurs d’asile a crû de plus de 7 % et le nombre de demandes d’asile acceptées de 45 %, passant à 14 512 en 2014.

Corentin Bainier,

Journalist