Avec l’externalisation des préparatifs qui étaient traditionnellement effectués par les femmes de la famille, le coût des noces a littéralement explosé.
Dans la nuit, le bruit des klaxons se rapproche. Une berline noire au capot orné de roses entre dans le parking suivie d’une dizaine de voitures sur les fenêtres desquelles sont perchés des jeunes hommes. Feux de Bengale à bout de bras. Au milieu du bruit des pétards, la portière de la berline s’ouvre. Une jeune femme, chevelure et épaules recouvertes d’un voile beige, en sort sous les youyous et les applaudissements.
Face à elle, Mohamed, burnous beige sur costume noir, l’accueille pour qu’ils entrent retrouver les quatre cents invités qui patientent à l’intérieur. Les mariés traversent la foule de femmes en robes pailletées, d’hommes en costume, de musiciens en tenue traditionnelle et rejoignent un immense canapé doré qui trône sur une estrade. Dans ce quartier périphérique huppé d’Alger, la célébration peut commencer.
Un budget qui explose
Il a fallu des mois à Mohamed et à sa future épouse pour tout préparer et, surtout, rassembler beaucoup d’argent. « Pour le mariage, il faut louer une salle des fêtes, payer un groupe de musique, acheter des gâteaux pour les invités chez un pâtissier, et je ne parle même pas des tenues, détaille le marié, qui dirige une entreprise de plusieurs dizaines de personnes. Nous pouvons nous permettre une telle dépense, mais je ne sais pas comment font les autres.»
Plus de 369 000 mariages ont été enregistrés en 2015, deux fois plus qu’en 2000. Même si le salaire mensuel moyen – 39 000 dinars (308 euros) en 2015 selon l’Office national des statistiques algérien – augmente, le budget que les familles accordent à la fête, lui, explose. Dans la salle des fêtes, Leïla, une cousine de Mohamed, vêtue d’un long caftan vert, est venue avec une petite valise : « J’ai acheté une robe de soirée noire, spécialement pour ce mariage, et des escarpins. Quand la mariée reviendra, j’irai me changer », sourit-elle.
La jeune femme, diplômée du supérieur, travaille comme cadre. Elle n’est pas encore mariée et a participé au financement du mariage de Mohamed : « J’ai donné l’équivalent d’un mois de salaire. Je n’ai pas de frère, et ce mariage est important pour toute la famille. » Dans son rapport Mutations familiales en milieu urbain, publié en 2015, le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc) explique la forte augmentation du coût des mariages par l’externalisation d’un certain nombre de tâches, autrefois assurées par les femmes. Les repas sont de plus en plus souvent commandés aux traiteurs, les gâteaux aux pâtissiers et certains futurs époux font aussi appel à des serveurs.
Dans la famille de Chafik, étudiant en médecine, on a dû reporter des vacances à l’étranger pour le mariage de la sœur aînée. « C’est abusé, soupire-t-il. On loue une salle 300 000 dinars [environ 2 300 euros], alors que les mariés ne vont même pas profiter de la fête. » Tout en ajoutant : « On est bien obligés de faire un grand mariage. »
« Payer la dot »
Même sentiment du côté de la famille d’Issam, qui demande à rester anonyme. Le mariage du jeune homme, diplômé, entrepreneur, a coûté plus de 3 millions de dinars algériens (environ 27 000 euros). « C’est beaucoup trop. Mais notre famille voulait qu’Issam ait le droit à une belle fête. Nous voulions montrer que, malgré les difficultés, nous avions réussi », explique Abdelhafid, le frère du marié.« Aujourd’hui, la société nous juge par rapport à l’argent que nous avons. Le mariage est un moyen de montrer ce que l’on possède et les gens que l’on connaît », ajoute Abdelhafidh qui assure que, depuis cette fête, beaucoup de voisins ont parlé du mariage et ont commencé à considérer leur famille autrement.
Un cousin d’Issam et d’Adelhafid se marie au mois d’août. Les parents ont puisé dans leurs économies de toute une vie, sans poser de questions. Pour la location de la salle et le groupe de musique, la famille dépensera 400 000 dinars (environ 3 100 euros). La deuxième dépense la plus importante est un ensemble de cadeaux offerts à la mariée : des tenues traditionnelles et des accessoires, des cosmétiques et du maquillage, et des plateaux de pâtisseries et de friandises. Les coûts sont souvent plus importants pour les familles des hommes. Une proche résume. « Dans notre religion et notre tradition, l’homme doit payer la dot et assumer les dépenses de la vie future du couple. Lorsqu’on reproche à quelqu’un une dépense excessive, il répond : “Nefrah bi weldi” », littéralement « Je me réjouis de mon enfant ».
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