gabonLa présidentielle, c’est dans un an, et d’ici là chacun entend rappeler qu’il a un rôle à jouer, une influence à négocier. Quitte à semer la zizanie au sein du parti au pouvoir.

« Jamais sans mes amis », pourrait clamer Alexandre Barro Chambrier. Avec lui, un rendez-vous fixé à 8 heures dans sa somptueuse villa du front de mer à Libreville se transforme en entretien avec l’ensemble des rédacteurs du brûlot « Héritage et modernité ». Une demi-douzaine de quinquagénaires en costume sombre et rasés de près qui menacent de faire imploser le Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir) à un an de l’élection présidentielle.

Dans un coin de la pièce moite, une assistante pianote sur un clavier d’ordinateur. C’est ici qu’ont été rédigées les phrases assassines de la déclaration lue au cours d’une conférence de presse tenue le 27 juin, à Libreville. Extrait : « Nous lançons un appel au président de la République afin qu’il se mette à l’écoute de tous et qu’il brise sans délai la gaine, le carcan, l’armure dans laquelle le pays entier, interloqué et consterné, le découvre vêtu par un groupe de prétendus « proches » à la légitimité politique douteuse et à la compétence technocratique toujours attendue. Petit groupe de proches qui se pense capable de se substituer au parti et se prévaut de détenir, à lui seul, bien plus que tout le capital sagesse accumulé par notre grand parti.»

L’hôtel de ville lui est pourtant refusé. Ce n’est un secret pour personne, il n’était pas le candidat du Palais.

Non-dits

On dirait un discours écrit par les opposants de l’Union nationale (UN). Sauf qu’en l’occurrence il s’agit d’élus du parti au pouvoir. Outre le maître de céans, sont présents : Serge Maurice Mabiala, énarque de 52 ans, qui fut directeur adjoint du cabinet d’Ali Bongo Ondimba et ministre de la Fonction publique jusqu’au dernier remaniement ; Vincent Gondjout, député et membre du bureau politique du PDG ; Philippe Nzengue Mayila, président de la commission des Affaires étrangères ; Michel Mboumi, député de l’Ogooué maritime ; Edgard Anicet Mboumbou Miyakou, député de la Haute-Banio, et Vincent Ella Menié, élu, lui, à Bitam.

« Nous avons l’opinion avec nous », assure calmement Alexandre Barro Chambrier. Rien, chez cet homme de 57 ans, n’indique qu’il vient de mettre tout le Gabon sous tension à quelques mois de la présidentielle. Avec son ton professoral et son phrasé hésitant, cet agrégé d’économie formé à Sciences-Po Paris et à l’université Paris-Dauphine alterne d’abord prudemment les allusions et les non-dits. Puis il muscle son discours au point de faire penser à son père, l’éruptif docteur Marcel Éloi Chambrier, qui fut président de l’Assemblée nationale entre 1990 et 1996 et qui, dit-on, n’a cessé d’encourager son fils à « prendre ses responsabilités ». Nommé en 2011 ministre des Mines, du Pétrole et des Hydrocarbures avant d’être limogé, Alexandre a vite rebondi à l’Assemblée nationale comme député du quatrième arrondissement de Libreville, avant de se faire élire conseiller municipal et de briguer la mairie. Au sein du parti présidentiel, sa liste est la seule à avoir obtenu plus de 50 % dans la capitale. L’hôtel de ville lui est pourtant refusé. Ce n’est un secret pour personne, il n’était pas le candidat du Palais. Comme lui, la plupart de ses amis d’Héritage et Modernité sont issus de grandes familles gabonaises. Celles qui sont « PDGistes » par tradition mais qui sont devenues, depuis 2009, les premières « victimes » du renouvellement de l’élite opéré par Ali Bongo Ondimba. Elles sont menacées de déclassement et, dans cet entre-soi bourgeois entré en résistance, on noue des alliances (le 11 juillet, Barro Chambrier mariait sa fille au fils de Laure Olga Gondjout, médiateur de la République et neveu de Vincent Gondjout) et on entend bien rappeler au chef de l’État que l’on peut jouer les trouble-fête et compromettre l’unité qui sera nécessaire pour remporter le scrutin dans un an.

13 membres de l’instance décisionnelle prennent la parole pour tailler en pièces le Mogabo. Ce fut une séance de sorcellerie. Je ne reconnaissais plus mes camarades.

L’origine de la fronde remonte au lancement, le 9 mai, du Mouvement gabonais pour Ali Bongo Ondimba (Mogabo), à l’initiative de proches du président et avec, probablement, l’aval de ce dernier. Parmi eux, plusieurs membres du gouvernement, dont Pacôme Moubelet Boubeya (Enseignement supérieur), Blaise Louembé (Jeunesse et Sports), Denise Mekam’ne (Communication), Désiré Guédon (Énergie), Ali Akbar Onanga Y’Obegué (secrétaire général du gouvernement) et Alain Claude Bilie By Nzé (porte-parole de la présidence)… « Nous voulions rallier des sympathisants que le PDG ne parvenait plus à séduire », justifie l’un des promoteurs. Sur le terrain, on ne voyait plus qu’eux, au grand dam des « PDGistes » relégués en spectateurs de cette campagne électorale avant l’heure. Les « causeries politiques » du Mogabo se multiplient. Le ressentiment et les crispations s’accumulent au sein du PDG, jusqu’au clash du 27 juin, avec la déclaration de Barro Chambrier et de ses amis. « Pourtant, argumente Alain Claude Bilie By Nzé, le Mogabo essayait de s’affranchir des appartenances partisanes. L’idée était de créer un lien avec les gens pour mieux prendre leurs préoccupations en compte et améliorer les politiques publiques. Le Mogabo soutient l’action du chef de l’État, mais n’a jamais eu vocation à investir un candidat. »

Balle dans le pieds

Le 2 juillet, la tension est à son comble. Une réunion du Comité permanent du bureau politique est convoquée en urgence. Pendant les assises présidées par Ali Bongo Ondimba lui-même, 13 membres de l’instance décisionnelle – sur les 18 présents – prennent la parole pour tailler en pièces le Mogabo. « Ce fut une séance de sorcellerie. Je ne reconnaissais plus mes camarades. Ce fut d’une violence inouïe. J’en suis encore abasourdi ! » confie l’un des participants. « Ce fut aussi l’occasion de constater que, derrière les différents intervenants, dont certains étaient membres du courant Héritage et Modernité, se cachent des forces tapies dans l’ombre », ajoute-t-il. Pour lui, il est évident que des caciques, ces anciens qui soupçonnent le président d’orchestrer leur mise à l’écart, sont à la manœuvre, histoire de montrer à Ali qu’il a eu tort de les enterrer trop tôt.

Le président n’a eu d’autre choix que de tempérer les ardeurs des uns et des autres. Lors de ce houleux huis clos, décision est prise de dissoudre tous les courants. Deux politiciens d’expérience sont désignés pour jouer les grands pacificateurs : Michel Essonghe, un fidèle conseiller d’Omar Bongo Ondimba, et Paul Biyoghe Mba, ex-Premier ministre sous Ali Bongo Ondimba, nommé au Conseil économique et social. Depuis, les deux hommes défilent dans le bureau de Faustin Boukoubi, le secrétaire général du PDG. « Ce qui arrive est déplorable, commente ce dernier. Si Barro Chambrier et ses amis m’avaient consulté, je leur aurais conseillé le discernement. Qu’ils exigent plus de démocratie au sein du PDG ne me gêne pas. En revanche, critiquer la gouvernance du pays, c’est se tirer une balle dans le pied », assène-t-il.

Pain noir

Boukoubi est pourtant le premier bénéficiaire de ce retournement de situation. Jusqu’à présent peu considéré au Palais, il mangeait son pain noir en silence. Dans le marigot gabonais, il faut savoir attendre. Le temps lui a donné raison : les deux médiateurs entendent remettre le secrétaire général au centre du jeu. À cet effet, ils ont missionné l’avocat Francis Nkéa pour proposer une révision des statuts du parti en prélude à un congrès de « clarification » réclamé à cor et à cri par une partie des militants et qui pourrait avoir lieu avant l’élection.

Retour à un calme sans doute précaire, donc, au sein du plus important parti du Gabon. Les blessures sont profondes, les rancunes tenaces. On craint même de nouvelles démissions, après celle – rendue publique le 30 juin – de l’ex-Premier ministre Raymond Ndong Sima, qui a claqué la porte du PDG. D’autres soubresauts pourraient encore se produire puisque les frondeurs semblent avoir pris goût au statut d’électrons libres. Pas question de s’autodissoudre. « Nous n’avons pas créé un courant, mais un rassemblement sur un socle d’idées, affirme Serge Maurice Mabiala. Il est immatériel donc indissoluble, et bénéficie d’un capital de confiance que nous entendons encore renforcer. »

Peut-être assistons-nous à la formation d’une écurie présidentielle au sein même du parti au pouvoir, même si ses principaux promoteurs s’en défendent. Ali Bongo Ondimba parviendra-t-il à contenir la fronde au sein du PDG (qui l’a investi et soutenu en 2009) ? Pour reprendre la main, il peut compter sur la fidélité de son Premier ministre, Daniel Ona Ondo, qui a tenu le cap pendant la tempête, ou sur celle de piliers de la majorité que sont Michel Essonghe, Paul Biyoghe Mba, Jean-Pierre Lemboumba Lepandou ou Rose Allogo Mengara… Mais il lui reste peu de temps. 2016, c’est déjà demain.

Georges Dougueli