habreC’est une première : un pays du continent s’apprête à juger un ancien président pour crimes contre l’humanité. Le Sénégal a trois mois pour mener ce procès, à l’issue duquel le Tchadien risque la perpétuité.

Trente-trois ans après avoir accédé au pouvoir, en 1982, et vingt-cinq ans après sa destitution, en 1990, l’ancien président tchadien Hissène Habré sera jugé à partir du 20 juillet devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE). Il comparaîtra pour crimes contre l’humanité – contre les Hadjeraïs, les Zaghawas, les opposants et les populations du Sud -, crimes de torture et crimes de guerre. Instituée par l’Union africaine (UA) aux termes d’un accord avec le Sénégal, cette juridiction ad hoc – dont la cour d’assises sera présidée par le Burkinabè Gberdao Gustave Kam, assisté de magistrats sénégalais – aura la tâche délicate d’examiner des exactions commises il y a plus d’un quart de siècle à des milliers de kilomètres de Dakar.

Pendant dix ans, Hissène Habré avait pourtant bénéficié au Sénégal d’un havre paisible. En ce temps-là, la Cour pénale internationale (CPI) n’existait pas et le principe de compétence universelle était encore embryonnaire. Mais en janvier 2000, sept victimes tchadiennes initient à Dakar le premier acte d’une interminable saga judiciaire. À la suite de leur plainte, un juge sénégalais inculpe l’ancien dictateur. Une procédure annulée peu après par la cour d’appel de Dakar, qui prétexte l’incompétence de la justice du pays. Quatre mois plus tard, des victimes belges d’origine tchadienne saisissent alors la justice bruxelloise. Mais au terme de quatre années d’enquête, les magistrats européens se heurtent à un obstacle : leur demande d’extradition de Hissène Habré est déclinée par la justice sénégalaise, qui se déclare à nouveau incompétente.

L’affaire finit par rebondir auprès de l’UA, qui demande au Sénégal de juger Habré « au nom de l’Afrique ». De longues négociations s’ensuivent entre l’organisation et le régime d’Abdoulaye Wade. Mais l’ancien président, qui n’a manifestement aucune envie de parrainer un tel procès, cherche à gagner du temps. Il faudra donc attendre l’élection de Macky Sall, en mars 2012, pour que soit entérinée la création des CAE.

En juillet 2013, Hissène Habré est inculpé et écroué. Après l’unité carcérale de l’hôpital Le Dantec, il intègre un pavillon confortable au sein de la prison du cap Manuel. Puis en février 2015 une ordonnance de mise en accusation détaille les nombreuses preuves documentaires et testimoniales portant sur l’appareil répressif ayant sévi au Tchad de 1982 à 1990. Hissène Habré est renvoyé seul devant la cour d’assises extraordinaire, la justice tchadienne ayant préféré juger elle-même les autres suspects.

Enfermés dans une défense de rupture dictée par leur client depuis plusieurs années, ses avocats – qui ont décliné l’entretien sollicité par Jeune Afrique – s’abstiennent d’évoquer le contenu des graves accusations portées contre lui, préférant dénoncer un vaste complot fomenté par la France, la Libye (du vivant de Kadhafi) et, surtout, le « tombeur » honni de Habré, le président Idriss Déby Itno.

Présent ou absent, l’accusé s’abstiendra vraisemblablement de toute déclaration, refusant de cautionner une juridiction qu’il estime tout aussi illégitime qu’illégale

Ils ont refusé de participer à l’instruction, dénonçant une « forfaiture » et réservant leurs plaidoiries à d’improbables recours visant à faire constater, mais en vain, l’illégalité des CAE.

Hissène Habré a fait savoir qu’il refuserait de comparaître devant la cour d’assises. Si le président Kam est susceptible de l’y contraindre, cela ne devrait pas changer grand-chose à la physionomie du procès : présent ou absent, l’accusé s’abstiendra vraisemblablement de toute déclaration, refusant de cautionner une juridiction qu’il estime tout aussi illégitime qu’illégale.

Pour les victimes, cette politique de la chaise vide n’entravera nullement la dimension exemplaire de ce procès tant attendu. Sur place ou par visioconférence, une dizaine d’experts et une centaine de témoins et de parties civiles s’exprimeront. Les audiences devraient être filmées par la chaîne nationale RTS – qui mettra ses images à la disposition des médias internationaux – et retransmises en quasi-direct sur internet.

Dans la salle 4 du palais de justice de Dakar, face à un accusé mutique qui se refuse toujours à admettre que son impunité a pris fin, des Tchadiens encore traumatisés par d’indicibles humiliations écriront la première page d’une compétence universelle « made in Africa ».

LES PERSONNAGES IMPORTANTS

Me Jacqueline Moudeina : l’avocate

Coordinatrice du collectif des avocats des victimes du régime de Hissène Habré, elle les défend depuis leur première plainte au Sénégal, en 2000. Si cette militante des droits de l’homme avait opté pour l’exil pendant le règne de Hissène Habré, elle a payé d’une attaque à la grenade, en 2001, et de diverses menaces son combat contre l’impunité.

Saleh Younous et Mahamat Djibrine (dit El Djonto) : les absents

Les magistrats des CAE auraient voulu inculper ces deux responsables de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), l’ancienne police politique, mais la justice tchadienne leur a coupé l’herbe sous le pied en organisant son propre procès des années Habré. En mars, tous deux ont été condamnés à la perpétuité.

Souleymane Guengueng et Clément Abaifouta : les victimes

Pendant plus de deux ans, Souleymane Guengueng a subi des conditions de détention inhumaines dans les geôles tchadiennes. Fondateur, dès 1991, de l’Association des victimes de crimes et répressions politiques au Tchad, il est avec son compatriote Clément Abaifouta (lui aussi ancien prisonnier) le porte-parole emblématique des suppliciés du régime Habré.

Reed Brody : le chasseur de dictateurs

Conseiller juridique et porte-parole de l’organisation Human Rights Watch, cet avocat américain épaule les victimes tchadiennes depuis 1999. En 2001, il a déniché des milliers de pages d’archives de la DDS. S’il ne sera pas cité à la barre, il devrait être omniprésent dans les coulisses du procès.

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