michel-sidibeLa possibilité de délocalisation des firmes pharmaceutiques chinoises est une « opportunité unique » pour permettre à l’Afrique de « réduire son déficit en matière de production locale de médicaments », a déclaré vendredi le directeur exécutif de l’Onusida, Michel Sidibé, dans une interview accordée à Xinhua en marge du 2ème sommet Chine-Afrique tenu à Johannesburg, en Afrique du Sud.

En réaction à l’une des grandes annonces du président chinois Xi Jinping pour le renforcement de la coopération entre son pays et l’Afrique, le haut responsable onusien a préconisé de faire en sorte que cette nouvelle orientation « se traduise par des mécanismes de transfert de technologies, de transfert de compétences ».

Question : Dans son discours à l’ouverture du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), le président chinois Xi Jinping a annoncé une série de mesures pour le renforcement de cette relation, dont la possibilité de délocalisation des entreprises pharmaceutiques en Afrique. Comment accueillez-vous cette décision ?

Réponse : C’est une grande victoire, parce ça fait des années qu’on se bat pour faire en sorte qu’il y ait une relation entre la Chine et l’Afrique dans le domaine de la production médicale. Nous pensons que c’est une opportunité unique qu’il faille saisir, pour nous permettre justement de réduire ce déficit en matière de production locale de médicaments. Aujourd’hui, comme je l’ai toujours dit, moins de 2% des médicaments que nous consommons sur ce continent est produit sur le continent africain. Donc, il est important pour nous de saisir cette opportunité-là, de faire en sorte que ça se traduise par des mécanismes de transfert de technologies, de transfert de compétences et de renforcement d’opportunités de production au niveau local. En ce sens, je crois que ça peut être une très grande victoire dans le futur contre les maladies.

Q : Vous pensez que c’est un espoir pour la lutte contre le VIH/SIDA qui est votre domaine d’intervention ?

R : Absolument, c’est extraordinaire. Aujourd’hui, 85% des médicaments que nous donnons à nos malades proviennent de l’Inde. Merci à l’Inde, mais l’Afrique peut commencer à produire. Et l’Afrique peut justement aller vers la pérennisation des acquis, on a pratiquement 12 millions de personnes sous traitement. On a besoin d’avoir au moins 25 millions de personnes sous traitement et donc on peut même aller à l’échelle rapidement si nous arrivons à produire nos propres médicaments. Il ne faut pas oublier que lorsque les médicaments sont produits au niveau local, au moins assurer la qualité, c’est important, mais on peut aussi avoir des coûts qui seraient abordables pour les populations.

Q : A quel niveau vous trouvez-vous avec la coopération que vous avez entreprise ces dernières années avec des firmes chinoises du domaine ?

R : Je crois que ce qui était très important pour nous, c’était de créer un espace de dialogue entre les industries pharmaceutiques chinoises et l’Afrique. Parce que j’estime qu’aujourd’hui on a des unités extraordinaires, la Chine est le pays qui produit la plupart des ingrédients pharmaceutiques du monde. Au moins 80 à 85% des ingrédients pharmaceutiques proviennent de la Chine. Donc, on peut réduire complètement le prix des ingrédients actifs pharmaceutiques pour l’Afrique, ce qui fait que l’Afrique peut produire des médicaments à des prix compétitifs qui seraient inimaginables.

Q : La spécificité de la médecine chinoise est qu’elle est une médecine douce, basée sur les plantes médicinales, donc sur la pharmacopée traditionnelle. Vous pensez que c’est un exemple à copier pour l’Afrique ?

R : Moi je pense aussi que cette relation pourrait complètement changer la nature de la recherche sur les médicaments traditionnels dans le futur. On peut aller vers une médecine moins coûteuse, on a tout ce qu’il faut. La pharmacopée africaine est très, très riche, il faut sortir de l’empirisme pour aller vers la science. Et ça, on peut justement utiliser l’expérience accumulée par la Chine pour bâtir des nouveaux ponts qui nous aideraient justement à aller dans ce sens-là.

Q : Donc, il faut renforcer la coopération dans ce domaine ?

R : C’est tellement important, parce que la médecine douce aujourd’hui est en train d’être pratiquement la médecine de demain. Et donc, les traitements basés sur la pharmacopée africaine, qui peuvent avoir des effets secondaires qui seraient réduits, mais qui pourraient être à des coûts abordables et atteindre beaucoup plus de populations, c’est extraordinaire.

Q : Considérez-vous l’attribution du Prix Nobel de médecine 2015 à la chercheuse chinoise Youyou Tu comme un signal fort ?

R : Je trouve que c’est bienvenu, parce que ça démontre encore une fois que l’effort de recherche et surtout le fait d’avoir mis l’accent sur le paludisme est quelque chose qui mérite vraiment le Prix Nobel.