Guineematin : Monsieur Cherif Abdallah, bonsoir !
Chérif Abdallah : Bonsoir monsieur Baldé!
Guineematin : Vous pilotez une structure de défense des opérateurs économiques et depuis plusieurs mois, la Guinée connaît une propagation du virus Ebola. Un phénomène qui impacte négativement l’économie du pays. Comment ressentez-vous cette situation ?*
Chérif Abdallah : Ebola est un problème qui est entrain de faire non seulement des victimes, des orphelins dans notre pays, mais aussi de tuer sérieusement l’économie de notre pays. Beaucoup de gens ne parlent que du budget national pour dire que l’économie est au ralenti. Ces personnes ne comprennent pas que les opérateurs économiques de tout bord sont entrain de perdre plusieurs millions. Personne donc ne pense à ces opérateurs économiques, parce que les activités du secteur privé, le secteur informel, etc., sont freinées à l’heure actuelle, et c’est extrêmement difficile. Donc, par rapport à ça, nous espérons bien qu’avec l’aide que la Guinée va obtenir, les opérateurs économiques vont avoir beaucoup de facilités dans ce sens. Aujourd’hui, à cause d’Ebola, les opérateurs économiques sont entrain de perdre énormément d’argent. Personne ne prête attention à ce qui se passe parce que depuis l’annonce de la maladie dans le pays, dans le secteur de l’hôtellerie, tout le monde sait que ça ne fonctionne pas. A ce niveau il y a un problème sérieux.
Hormis les hôtels, le commerce à l’intérieur de tous les marchés du pays est nettement au ralenti. Les producteurs de pomme de terre à Timbi Madina par exemple qui exportaient leurs produits vers le Sénégal, depuis que cette frontière est fermée, ont perdu presque la totalité de ce qu’ils avaient. Vers la Forêt, la plupart de leur production aussi était exportée vers les pays voisins. Voilà un autre problème difficile pour les commerçants de notre pays.
A Conakry, c’est la même situation car il y en a qui venaient de la Sierra Leone, du Liberia et de la Guinée Bissau, et même du Cap vert, parce que beaucoup d’opérateurs venaient des pays voisins acheter des marchandises au marché de Madina. A l’heure actuelle, ce n’est pas le cas ; personne ne vient. Donc, les opérateurs économiques continuent à payer les frais comme d’habitude, c’est-à-dire les frais de location des
magasins, des impôts et toutes les taxes qui s’en suivent. Personne ne leur fait crédit ( ?) à ce niveau et ils sont entrain de perdre énormément d’argent. Cela fait plusieurs mois déjà et on ne sait pas quand est-ce que cela va finir. A ce niveau, nous espérons que les autorités de notre pays et la Communauté internationale vont porter une attention toute particulière à cette situation des commerçants, à tous les niveaux. Et cela, c’est tout le monde, y compris moi qui suis entrain de parler. Nos activités sont nettement au ralenti, rien ne marche.
Guineematin : Mais qu’est-ce que votre structure, le GOHA fait concrètement pour
changer la donne ?
Chérif Abdallah : Nous avons engagé des programmes sérieux pour inverser la tendance. Nous avons lancé des campagnes de sensibilisation dans tous les marchés de la République, à commencer par le grand marché de Madina. A l’heure actuelle, nous sommes entrain de faire la sensibilisation porte à porte, en distribuant des kits dans la plupart des centres commerciaux, dans les mosquées et églises de Madina. Nous allons faire la même chose pour les autres marchés de l’intérieur du pays. Et pour cela, nous demandons l’appui de l’Etat pour avoir les kits sanitaires et nous voulons aussi l’appui des bonnes volontés, qu’elles soient de la communauté nationale ou internationale, parce qu’en touchant les marchés, vous avez touché l’ensemble des opérateurs économiques du pays mais aussi l’ensemble des populations du pays, y compris les étrangers vivant parmi nous, parce que tout le monde vit à partir des marchés de Conakry et de l’intérieur. Donc, tout le monde est concerné.
Guineematin : Actuellement vous êtes à l’intérieur du pays, est-ce qu’on peut en connaître les raisons ?
Cherif Abdallah : Effectivement, je suis à l’intérieur du pays pour cette campagne de sensibilisation, porte à porte, mais nous voulons vraiment l’appui des professionnels de la santé dans ce sens. Nous ne sommes pas des professionnels mais nous savons qu’il faut être propre, laver permanemment les mains et avoir un environnement propre. C’est le seul conseil qu’on peut donner aux commerçants en plus des kits qu’on va leur distribuer.
Guineematin : Le GOHA n’existe pas seulement qu’en Guinée. On vous retrouve aussi dans les autres pays également touchés par le virus Ebola. Est-ce qu’il y a des actions envisagées par votre structure dans ces pays, notamment en Sierra Leone et au Libéria ?
Cherif Abdallah : Au-delà de la Guinée, nous souhaitons aussi que le gouvernement nous appuie pour la sensibilisation en Sierra Leone et au Libéria. Il ne faut pas oublier que les 80% des gens qui exercent le commerce dans ces deux pays sont des ressortissants guinéens. Mais, au-delà de cette considération, c’est d’abord une action humanitaire. Parce que tant qu’il restera un seul cas dans ces deux pays, la Guinée ne sera toujours pas à l’abri. Donc, nous devons nous donner la main afin que la maladie soit éradiquée dans nos Etats.
Guinematin : Revenons à la Chambre du commerce, le GOHA dénonce des manquements dans la tenue des élections des représentants. Est-ce qu’on peut en savoir un peu plus les raisons ?*
Cherif Abdallah : Parlant de la Chambre du commerce, c’est un problème extrêmement
difficile. Ce qui s’est passé pendant les élections a été carrément abouti des sélections. Ce n’étaient pas des élections. Il y a eu le cas de Faranah, de Matoto, de Ratoma. Ce qui est extrêmement difficile pour les commerçants, parce qu’il n’y a pas eu de transparence. Et si on continue dans ce sens, on force la situation pour mettre quelqu’un qui n’est pas élu par les commerçants de quelque bord que ce soit, la Chambre du commerce ne serait pas représentative. Si tel est le cas, ça sera une coquille vide. C’est pourquoi, au GOHA, nous avons dits que puisque nous avons invité l’ensemble des commerçants du pays à se faire recenser pour participer à cette élection, il faut que les élections soient transparentes. Pensez que, nous n’avons été informés qu’il y a une élection pour cette Chambre que 6 jours avant. Donc, c’est une magouille extraordinaire qui a été organisée. Nous n’allons pas accepter cette sélection, et nous demandons à tous les commerçants du pays, à tout le secteur privé de refuser catégoriquement. Nous ne sommes pas d’accord avec cette façon de faire.
Guineematin : Mais il ne s’agit pas seulement de dire que vous n’êtes pas d’accord, il faut aussi faire des propositions de solutions en tant que grande organisation, au moins pour éviter le blocus ?
Chérif Abdallah : Bien sûr, c’est pourquoi nous proposons la reprise intégrale du scrutin ou bien qu’on aille en consensus. Que tout le monde se mette d’accord pour mettre en place un bureau exécutif national derrière lequel tout le monde se mettra. Nous n’allons pas nous opposer à cela. Mais, s’il n’y a pas de consensus, il n’y a pas d’élections propres, nous dirons non et on va s’imposer. Nous demandons à tous les commerçants du pays de rester mobilisés et débout pour dire niet. Parce qu’il faut absolument qu’on ait un environnement des affaires bien assaini. Que des hommes valables, représentatifs et crédibles soient installés. On ne doit pas s’amuser avec cela. Nous ne demandons pas des hommes qui roulent avec des millions de dollars, mais des hommes crédibles, parce qu’on peut dire que tel est riche, tel autre n’est pas riche, ce n’est pas cela qui intéresse les opérateurs économiques, mais que tu sois crédible. Dans le cas contraire, si on procède au forcing, nous allons refuser et demander aux opérateurs économiques de refuser et de s’imposer.
Guineematin : Autre actualité qui semble vous préoccuper, est bien la présence massive des Chinois dans nos différents marchés mais aussi le ‘’refus’’ de leur ambassade de délivrer les visas aux femmes d’affaires guinéennes. Expliquez-nous cette situation ?
Cherif Abdallah : Par rapport au problème des Chinois en Guinée et de leur ambassade qui refuse de donner les visas systématiquement aux femmes d’affaires guinéennes, il ne faut pas oublier qu’ils sont entrain de tuer en ce moment l’économie des millions de personnes en Guinée, parce que les gens ont pris l’habitude d’aller payer les marchandises dans ce pays. Au moment où je vous parle, l’ambassade de la Chine refuse que les commerçants obtiennent des visas pour aller acheter des marchandises. C’est ce que nous déplorons et nous demandons qu’on mette fin à ces pratiques.
Autres choses, quand les gens achètent en gros en Chine et reviennent en Guinée, les mêmes Chinois aussi viennent ici pour vendre en gros, demi-gros et en détail. C’est ce que nous appelons la concurrence déloyale. Nous demandons aux autorités de notre pays de nous appuyer pour mettre fin à ça parce que je sais, une chose est claire, le gouvernement a intérêt à mettre fin à cette pratique. Les commerçants à tous les niveaux, ont voulu faire des manifestations en allant vers l’ambassade de la Chine. Ils sont venus vers nous à plusieurs reprises, nous les avons canalisés et on leur a demandé de rester tranquilles pour le moment et que nous allons faire une déclaration dans ce sens pour attirer l’attention de l’opinion nationale et internationale, l’ambassade de la Chine et notre gouvernement. Si les gens ne sont pas écoutés par après, ils tiendront leur manifestation. Je sais que les 99% des manifestants seront des femmes, parce qu’elles y tiennent fermement. Vous entendez souvent des gens dire que les Chinois sont entrain d’investir en Guinée, d’accord, mais s’ils n’empêchent pas les opérateurs guinéens d’évoluer librement, vous pensez que les immeubles qu’ils sont entrain de faire, les Guinéens aussi ne peuvent pas le faire ?
Nous ne sommes pas contre leurs investissements, mais il ne faut pas qu’il y ait une concurrence déloyale dans le pays. Il y a eu des revendications contre ce genre de pratique au Sénégal et dans plusieurs autres pays africains. La façon dont ils sont entrain de faire, ils coupent carrément l’intérêt de ces femmes qui voyagent. Et, puisque l’Etat n’a pas un endroit où mettre tous ceux qui évoluent dans le secteur informel, il ne faut pas accepter que quelqu’un d’autre vienne prendre la place des Guinéens. Notre devoir est d’alerter les autorités sur ce domaine.
Guineemation : Votre mot de la fin ?
Mon mot de la fin est de demander à tous les opérateurs économiques de se donner la main pour la sensibilisation sur cette maladie Ebola. Je lance aussi un appel aux commerçants victimes de pillages, pour qu’ils appuient cette campagne de sensibilisation. Je remercie ceux qui sont déjà dans les marchés pour cette sensibilisation et je demande aux autres de leur emboîter le pas. Je remercie surtout l’ambassade des Etats Unis qui, malgré la présence d’Ebola, continue à soutenir les opérateurs économiques de notre pays, en leur octroyant des visas, contrairement aux autres qui ferment leur porte aux Guinéens.