Une trêve a été décrétée par l’opposition dans ses manifestations de rue, en prélude à la rencontre entre le président de la République et le chef de file de l’opposition Cellou Dalein Diallo, qui s’est déroulée le 20 mai dernier au palais Sékhoutouréah. Un tête-à-tête qui devait baliser la voie à une sortie de crise, après des moments d’agitation qui ont marqué l’échiquier politique guinéen, ces derniers mois. Durant leur rencontre, Cellou Dalein Diallo a égrené tout un chapelet de revendications, allant de l’annulation du chronogramme électoral qui fixe la présidentielle au 11 octobre 2015, à l’application des accords du 3 juillet 2013. Sans oublier le sort des victimes de la répression des manifestations de l’opposition. Le chef de l’Etat aurait dit avoir pris bonne note de ces revendications. Et qu’il allait donner une réponse aux différentes préoccupations de l’opposition par l’entremise de ses ministres, notamment celui de la Justice, Cheick Sako. Ce dernier préside en effet le cadre de dialogue mis en place par le gouvernement. Même si à ce niveau on est confronté à un blocage. Les acteurs politiques ayant préféré la confrontation dans la rue au détriment du dialogue. Pour revenir à la rencontre entre le chef de l’Etat et son principal opposant, il faut dire qu’elle a donné lieu à toutes sortes de commentaires, dont des plus désobligeants. Des réactions émanant surtout de l’opposition, dont certains membres ne voient pas d’un bon œil que Dalein se rende au palais, en ces moments de fortes tensions. Le président de l’Union des forces républicaines (UFR) Sidya Touré figure parmi ceux qui ne semblaient pas attendre grand-chose de cette entrevue. Quand on se réfère à ce qu’il a déclaré lors d’un entretien accordé à l’hebdomadaire L’Indépendant, on se rend compte que la démarche du chef de file de l’opposition ne fait pas l’unanimité. « C’est une rencontre au cours de laquelle les uns et les autres vont poser les problèmes qui devraient nous aider à aller au dialogue. J’estime qu’on a perdu beaucoup de temps et que cela n’est pas conforme à ce que nous avons souhaité parce que les militants restent mobilisés. S’il y avait un peu plus de responsabilité au niveau du pouvoir, c’est un problème qu’on aurait dû évacuer depuis longtemps », s’est exprimé Sidya Touré. Qui soupçonne le président Condé de faire du dilatoire. Et qu’une fois que tout sera ficelé au niveau de la Ceni, qui s’activerait dans les préparatifs, ils seront invités à prendre part à des élections, dont les résultats seront connus d’avance.
L’idée de changement de régime prôné par Sidya Touré à la faveur du scrutin à venir ne serait qu’une suite logique de la réunion qui s’est déroulée en mars dernier à Paris, entre le président de l’UFR et deux autres anciens Premiers ministres, dont Lansana Kouyaté et Cellou Dalein Diallo. Réunion lors de laquelle, les trois ténors de l’opposition avaient remis en question « la légitimité » du président de la République. Tout en prônant une unité d’actions à entreprendre pour conduire le pays à une alternance en 2015. Depuis cette rencontre qui avait fait couler beaucoup d’encre et de salive, l’opposition se livre à des actions de désobéissance civile. A travers des marches pacifiques et des journées « villes mortes ».
Sauf que ces manifestations de l’opposition connaissent de moins en moins leur « éclat » habituel. Vu que ces derniers temps, les services de sécurité ont adopté une stratégie visant à confiner les leaders de l’opposition, notamment Dalein et Sidya à leurs résidences. En les isolant ainsi de leurs militants, les manifestations finissent par être tuées dans l’œuf.
Et quid du troisième homme, Lansana Kouyaté, dans tout ça ? Le président du Parti de l’espoir et du développement national (Pedn) qui n’a toujours pas regagné Conakry, conformément aux conclusions de la réunion de Paris. On le sent plutôt très en verve dans ses différentes sorties dans les médias. Et avec un ton courroucé, Kouyaté multiplie les attaques contre le pouvoir.
Ce lundi, au moment où nous allions sous presse, les opposants devraient se retrouver pour définir un nouveau chronogramme des actions à entreprendre, au cas où le pouvoir ne répondait pas favorablement à leurs revendications. Va-t-on assister à un changement de stratégie, quand certaines voix au sein de l’opposition trouvent que les manifestations de rue sont contreproductives ? La question mérite d’être posée, quand on sait qu’à l’UFR, notamment, on n’a pas l’air d’être partants pour de nouvelles manifestations. Même si le parti n’a pour le moment pas fait de propositions alternatives à ces actions de rue.
Le porte-parole de l’opposition, Aboubacar Sylla, a donné un avant-goût des points clés qui seront abordés lors de la réunion tant attendue ce lundi, et qui devra situer l’opinion sur la suite des événements dans le bras de fer entre le pouvoir et l’opposition.
S’exprimant au micro de nos confrères de guineenews, le président de l’Union des forces du changement (UFC) est revenu sur la rencontre entre le chef de l’Etat et Cellou Dalein Diallo : « dès l’audience accordée au chef de file de l’opposition par le chef de l’Etat, nous avons fait une première évaluation. D’abord, nous avons exprimé notre déception par rapport aux premiers résultats obtenus sans préjuger de ce qui pourrait être annoncé bientôt. Ensuite, nous avons estimé que le chef de l’Etat a manqué l’occasion d’au moins régler deux questions essentielles. D’une part, mettre le dialogue politique sur les rails. Nos préalables de 2013 sont les mêmes en 2015. On n’attendait pas de cette rencontre qu’elle résolve toutes nos préoccupations. On sait que le dialogue tant attendu le réglera. Mais on pensait au moins que le dialogue aurait été relancé dès cette rencontre. D’autre part, nous sommes déçus de la violence des forces de l’ordre sur nos militants avec son lot de morts, des tirs à balles réelles, les arrestations brutales et les condamnations expéditives. On pensait que le président se montrerait indigné, qu’il promettrait des enquêtes et s’engagerait à indemniser les victimes comme promis en 2013 », a-t-souligné l’opposant.
Et Aboubacar Sylla de poursuivre dans la même lancée, « jusqu’à preuve de contraire, nous considérons que cette rencontre n’a pas tenu les espoirs escomptés. C’est un échec pour le moment. Nous disons d’ailleurs que le président de la République doit assumer cet échec, pour avoir transformé l’audience en monologue et occulté toutes ces questions. Il a promis de consulter une nouvelle fois sa mouvance avant de faire ses suggestions. Pour nous, nous estimons que le président de la République veut retarder le dialogue pour nous mettre devant le fait accompli. Pour que même si le dialogue doit avoir lieu, qu’il arrive à un moment où il est difficile de modifier le calendrier électoral. Donc, on nous fait attendre encore, sous prétexte que le président consulte sa mouvance politique. Il a déjà reçu Hadja Nantou Chérif et il reçoit tous les jours les représentants de la mouvance. Or, nos revendications sont connues. Le président de la République les a toujours abordées ici comme ailleurs. Il n’y a absolument rien de nouveau. S’il voulait faire bouger les lignes, il l’aurait fait. Malheureusement, il se comporte comme quelqu’un qui tombe des nues, qui n’est au courant de rien, qui n’est en contact avec personne et qui a besoin de se concerter avec tout le monde pour se faire une opinion. Tout ceci vise à gagner du temps. On nous met dans l’expectative, on bloque nos manifestations, le dialogue ne vient pas. Dans un ou deux mois, on nous balancera à la figure que plus rien n’est possible. »
Malgré la rencontre entre le chef de l’Etat et le président de l’UFDG le 20 mai dernier, l’opposition donne toujours l’impression qu’elle ne croit plus en la bonne foi du pouvoir, à faire preuve d’une gestion concertée du processus électoral. On attend donc de savoir ce qu’elle va dévoiler ce lundi comme approche pour arracher des concessions au pouvoir, en prélude à la prochaine présidentielle.
Le président Condé, lui poursuit ses tournées dans les préfectures intérieures, où il bénéficie d’un accueil chaleureux, de la part des populations des zones visitées. C’est comme s’il disposait d’une longueur d’avance sur ses adversaires dans cette campagne avant la lettre, qu’il est en train de mener. Un retard que l’opposition aura du mal à rattraper à l’allure où les choses se dessinent.
Aliou Sow (Le Démocrate)