L’élection présidentielle en Guinée sera organisée le 11 octobre, très bientôt donc, et dans un climat politique excessivement tendu. Il conviendrait donc que les acteurs internationaux se penchent sur cette question et évaluent le niveau de préparation de la Guinée, ainsi que les éventuelles conséquences explosives qui pourraient découler d’un scrutin contesté.
Un dispositif d’observateurs européens
De nombreuses organisations internationales s’élèvent face aux manquements de la présidence d’Alpha Condé concernant le respect des droits de l’homme et de la corruption au sein de l’administration guinéenne. Les accidents qui ont émaillés les dernières manifestations pacifiques et pro-démocratiques, ainsi que l’absence de réponse de l’Union européenne (UE), montre le désintérêt de l’Europe dans ce qui pourrait conduire à un conflit ethnique aux conséquences désastreuses.
Aujourd’hui, un enjeu de taille se dresse en Afrique – en sus de la crise d’Ebola, en passe d’être réglée, mais qui a été marquée par l’implication tardive de l’UE. Sera-t-il cette fois trop tard pour sauver la démocratie en Guinée ? On a bien vu avec le Nigéria lors des dernières élections présidentielles de mars 2015, que lorsque l’UE s’implique, elle a permis une passation de pouvoir sans corruption ni violence.
Voici un souhait qui, dans les faits, semble relever du vœu pieu, voire de l’essai de science-fiction. Car peu nombreux sont les décideurs européens qui s’intéressent à cette élection dans ce pays lointain, mais pourtant détenteur de ressources naturelles.
En juin dernier, l’UE avait dépêché à Conakry une mission exploratoire sur la nécessité de déployer des observateurs européens en Guinée, mission dirigée par un certain Marco Morettini. Un signal fort, n’est-ce pas ! Le parlementaire européen Mark Demesmaeker a questionné la Commission sur les résultats de cette mission et son rapport, mais il nous faudra sans doute encore un peu de patience estivale pour lire l’analyse de la Commission européenne sur le sujet.
Quoi qu’il en soit, une procédure de recrutement d’observateurs a été ouverte le 13 juillet et s’est terminée le 27 du même mois.
Le système Condé
Voilà, le dispositif de veille démocratique est là. Tout ira bien et dans le calme. En outre, nous pourrons sans doute compter sur la présence parmi les observateurs de députés européens tellement rompus à la pratique électorale qu’ils pourront déceler dans la seconde toute anomalie dans l’organisation des élections.
Nous tenons ici à rappeler qu’Alexander Lambsdorff, chef de la mission européenne en 2010, avait reconnu la victoire d’Alpha Condé sans y trouver trop à redire. Cristian Preda avait lui été plus critique dans son rôle de chef de mission lors des législatives de 2013. Néanmoins, il est bon de rappeler que la Ceni (Commission électorale guinéenne indépendante) était en charge des élections présidentielle et fut dirigée à l’époque par un des hommes de confiance de Condé, Lounceny Camara, et que ce dernier vient de purger une peine de prison pour fraude électorale et corruption.
Cependant, Camara n’est plus en charge de la Ceni, après son éviction suite à sa condamnation et emprisonnement. La plus grande préoccupation pour les Guinéens, et qui devrait également l’être pour la communauté internationale, consiste dans le fait que la Ceni soit toujours dirigée par des alliés de Condé. Il n’y a aucune chance pour que l’élection présidentielle soit libre ou équitable si elle est supervisée par les hommes de main du président sortant.
En Europe et aux USA, il n’est pas certain que la date des élections en Guinée soit un vrai sujet de conversation, voire de préoccupations. Alpha Condé a de la manière la plus cynique du monde été reçu dans les cénacles internationaux pour évoquer la crise Ebola, main tendue pour solliciter de l’assistance et de l’aide… utiliser Ebola à des fins de relations publiques personnelles. Mais jamais personne ne lui a demandé dans ces mêmes foras s’il allait permettre l’organisation d’élections libres, transparentes et inclusives dans son pays.
Une future mascarade ?
La France, forte de son passé colonialiste et de son influence toujours présente en Guinée, n’est que trop rarement impliquée dans ce débat, voire complètement absente. Il est facile ensuite de faire le lien entre la vieille amitié qu’entretiennent Alpha Condé et François Hollande, fort de leurs idéaux socialistes, pour expliquer le manque d’implication et de critique envers la présidence de 5 ans de Condé, qui a conduit la Guinée aux portes des pays les plus pauvres et corrompus du monde.
Or, ce qui se prépare est une mascarade. Quand on sait que des mineurs sont inscrits comme électeurs dans les circonscriptions pro-Alpha mais que les adultes en ordre de voter ne peuvent s’enregistrer ailleurs où le vote ne lui est pas acquis.
Condé refuse d’organiser les élections locales depuis 2010 et a placé aux différents postes clés de l’administration. Mairies, districts, conseillers municipaux, ses acolytes y exercent un rôle d’autorité publique selon des mandats illégaux et illégitimes. Ces personnes se trouvent donc à des postes clés pour gérer les listes électorales mais également qui votera, et in fine ces mêmes personnes dépouilleront les bulletins et annonceront les résultats. Vous avez dit élections transparentes et libres ?
Des alertes lancées
Quand on sait que la dernière lettre de Ceni signifie « inféodé », quand on sait que la presse est regardée comme un organe futile, quand on sait que les opposants qui manifestent sont tirés à balles réelles, les femmes violées et certains manifestants emprisonnés et dépossédés, quand on sait ce dont a été capable Alpha Condé en 2010 pour modifier le résultat, quand on sait que Bernard Kouchner et Tony Blair sont les VRP du pouvoir en place auprès des chancelleries, quand on sait que la Cour constitutionnelle vient d’être installée par le pouvoir, quand on sait que tous les administrateurs locaux ont été désignés par le palais à défaut d’élections communales… Franchement.
Quand on sait tout ça, et il ne faut faire de mission exploratoire pour le savoir, envoyer des observateurs pour le 11 octobre relève du défaut de prévoyance, voire de la non-assistance à personne en danger.
Déjà, Cellou Dallein Diallo, Sidya Touré ou Lansana Kouyate, tous anciens Premiers ministres du pays et candidats à la présidentielle, font état de leurs plus grands doutes sur l’état de l’organisation des élections, indiquant même pour certains qu’ils ne participeront pas à un scrutin dans de telles conditions.
Ne sont-ils pas tous des interlocuteurs crédibles auxquels il serait bon de prêter l’oreille, ne savent-ils pas mieux que quiconque ce qui se trame ?
La seule question que devrait poser ce rapport de mission exploratoire à ce stade est que la tenue d’élections libres, transparentes et inclusives ne peut être garantie à la date du 11 octobre et qu’un report des élections accompagné d’une médiation de la communauté internationale composée au premier rang de l’Union africaine (le Président Obama lui-même vient d’indiquer l’importance de cette institution), de l’UE, des USA et de tous ceux qui veulent véritablement installer la démocratie en Guinée, serait la seule voie recommandée par son auteur.
À moins que chacun soit satisfait du bilan de ce quinquennat et veuille permettre une nouvelle confiscation du pouvoir par Alpha Condé, il faut dénoncer ce qui se prépare. Il ne faudra pas venir dire que vous ne saviez pas et n’avez pas été prévenu.
Le Nouvel Observateur