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Arrêter de faire l’amour est-il source de déséquilibre et de frustration ?

 couple heureuxDes hommes et des femmes qui n’ont plus de relations sexuelles nous livrent leurs interrogations et leurs réponses.

Ils ont 30, 40 ans. Ils sont équilibrés, indépendants, pas moins séduisants que d’autres. Mais ils ne font plus l’amour. Dans une société où le sexe est omniprésent, où règne une « tyrannie du plaisir », selon les mots de Jean-Claude Guillebaut (in Tyrannie du plaisir, Le Seuil, 1999, prix Renaudot de l’essai 1998), comment vit-on sans sexe ? Qu’ils subissent cette situation pour se protéger ou qu’ils l’aient choisie pour mieux se retrouver, les abstinents se sentent atypiques. Devant les injonctions à l’orgasme des romans, des films ou des couvertures de magazine, ils se taisent. « Je suis fatiguée de tous ceux qui me regardent comme une handicapée des sens. J’en ai assez de devoir les convaincre que je suis normale », dit Anna, 35 ans, sans homme depuis huit ans.

Une préoccupation lancinante

Mais est-il normal de vivre sans sexe ? Pour Freud, l’abstinence n’était pas vivable : « La tâche de maîtriser la pulsion sexuelle autrement qu’en la satisfaisant peut réclamer toutes les forces d’un être humain. Seule une minorité y parvient, et encore de façon intermittente. Le combat contre la sensualité consume l’énergie du caractère disponible. » Une citation qui fait sourire Thierry, 39 ans, abstinent depuis cinq ans après un divorce douloureux : « Ce n’est pas tant un combat qu’une préoccupation lancinante. Je ne me sens pas prisonnier de pulsions inassouvies mais il me reste un fond de douleur : j’ai l’impression de rater quelque chose censé faire partie de ma vie d’homme. Oui, le sexe me manque. Mais de moins en moins ; même l’envie de plaisir solitaire s’estompe. Je me suis fait une raison, mais il me manque quelque chose. Je vis avec une impression de vide. »

Claire, 32 ans, n’a pas « choisi » non plus. Des expériences douloureuses l’ont conduite à un repli sur elle-même, à un refus du sexe. Treize ans après, elle tire de ces années d’abstinence un bilan tourmenté : « Ma situation est devenue très angoissante. Lorsqu’un homme me plaît, j’ai l’impression d’être handicapée, comme si j’avais perdu le moyen de dialoguer avec mon corps et celui de l’autre. Résultat, je me ferme à toute rencontre. Je me sens dans un cercle vicieux : plus ça va, plus j’ai peur, et plus ça dure. »

Ce type d’abstinents, le psychanalyste J.-D. Nasio les appelle les « désabusés de la sexualité » : « Ils se sont donnés, ils ont été déçus et refusent de souffrir de nouveau. C’est comme si leur tête imposait le silence à leur corps. Dans la rencontre, lorsque l’idée de la souffrance prend le pas sur l’idée de plaisir, l’abstinence rétrécit la vie, l’isole. Comme elles ont le sentiment de ne rien pouvoir y faire, les personnes abstinentes souffrent puis se résignent. » « Si l’on sait exprimer ses sentiments autrement que par le sexe, par la parole, les gestes, les caresses, on peut sûrement trouver une forme d’équilibre, explique la sexologue Catherine Solano. On peut également diriger cette pulsion vitale non employée vers autre chose – le travail, le sport, les enfants. Mais si cette dimension intime peut parfois être inventée en dehors de la sexualité, elle manque toujours. »

Faire le point avec soi

Même s’ils doivent se heurter à ce manque, certains choisissent l’abstinence comme une thérapie, comme un temps de silence du corps, décrété pour faire le point avec eux-mêmes. Dans un magnifique petit livre (Le Désir, EDLM, 2002), Chantal Bourbigot raconte sa traversée du non-désir : « Mon corps crie grâce. Je ne veux plus d’homme dans ma vie, je ne veux plus d’homme dans mon lit. Ce n’est pas normal de ne pas faire l’amour mais il est nécessaire que ça s’arrête si je veux vivre plus près de moi. Le bonheur pour la femme harassée que je suis, c’est de s’accorder le nécessaire repos du corps. »

Sur la banquette d’un café parisien, le charme et les rires d’Eve, 38 ans, attirent les regards. Pourtant, elle est là pour raconter comment, depuis dix ans, elle vit sans qu’aucun homme ne la touche. « L’abstinence que j’ai choisie n’est pas le signe d’une névrose ou d’une peur du sexe. J’ai vécu une sexualité épanouie et plutôt heureuse. Mais un matin, j’ai regardé l’homme auprès de qui j’avais dormi et j’ai réalisé que je partageais l’intimité de mon corps avec quelqu’un qui ne connaissait pas l’intimité de mon histoire, de ma vie, de mon âme. Et je me suis retrouvée à penser : “Mais quel intérêt ?” J’ai rompu en me disant que je donnerais tout au suivant, sinon rien. Depuis dix ans, c’est rien. »

Divorce douloureux, période de reconstruction, l’abstinence assumée comme « une planche de salut » semble s’accompagner naturellement d’un travail sur soi. Pour Nadia, 34 ans et huit ans d’abstinence, la thérapie a fait basculer les choses. « Durant les deux premières années sans sexe, l’idée même de la pénétration m’était insupportable. J’ai fini par entamer une thérapie qui m’a aidée à mieux comprendre et à redéfinir ma relation aux hommes et à l’image déplorable que j’avais d’eux. Aujourd’hui, si je suis toujours abstinente, ce n’est plus dans le rejet ou la frustration, mais dans l’attente d’une relation satisfaisante. »

Cette attente dont parle Nadia semble plus être celle de la tendresse que celle du sexe. « Mon corps avait besoin d’un homme mais mon cœur réclamait un amour, se souvient Chantal Bourbigot. Je ne ressentais pas le manque de sexe. J’avais envie de bras qui me serrent, pas de pénétration. Les effets du manque étaient ceux du manque de tendresse. »

Violaine Gelly

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