Le procès Hissène Habré reprend ce lundi au palais de justice de Dakar, après avoir été suspendu hier. Mais, avant que la Cour ne décide de suspendre l’audience, le témoin Mike Diottrige, ancien responsable d’Amnesty international était à la barre.
Comme depuis le début du procès, l’accusé est encore calme. Parfois, il donne même l’impression de dormir. Jambes croisées, Hissène Habré est assis face à la cour. Mais, dès que le juge suspend l’audience, l’ancien président du Tchad se lève, puis se tourne vers l’assistance et effectue, avec les doigts de sa main, un signe de victoire. Pendant des dizaines de secondes, ses souteneurs l’applaudissent avant qu’il ne soit poussé vers le box des accusés par trois gardes pénitentiaires. Jugé pour «crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes de torture», Hissène Habré ne parait visiblement pas ébranlé par les accusations de Mike Diottrige, ancien responsable d’Amnesty international de 1977 à 1995.
Tortures, audiences ratées, influence diplomatique, assassinats ou disparition de personnes, Mike Diottrige, Britannique de 62 ans, raconte comment Habré et ses collaborateurs ont dirigé le Tchad, de 1982 jusqu’à la fin de la chute du régime du prédécesseur au pouvoir de l’actuel président Idriss Déby. Avec des documents à l’appui, Mike Diottrige indique que la mort de personnes durant le pouvoir de Habré n’était pas liée aux tortures mais à ce qu’on «a appelé en Guinée Conakry la diète noire, la privation de nourriture mais aussi de boissons et de manque de soins médicaux». L’ancien responsable d’Amnesty a ajouté devant la cour que la «nourriture (dans les prisons de Habré, Ndlr) était en quantité tellement petite que le prisonnier en mourrait».
En Guinée, on estime que quelque 50 mille personnes ont été tuées sous le régime du défunt président, Sékou Touré dans les camps de concentration comme celui de Boiro. Selon des organisations de défense des droits de l’homme, le Camp Boiro reste le symbole d’une répression violente du régime de Sékou Touré au cours duquel, selon une estimation, 5 mille personnes ont été exécutées parfois dans des conditions atroces après des tortures inhumaines dénoncées par Amnesty international.
Idriss Deby complice ?
A la barre, le Britannique a raconté au juge des Chambres africaines extraordinaires les nombreuses formes de tortures pratiquées au Tchad pendant que Hissène Habré était au pouvoir. Le témoin a principalement insisté sur la méthode «arbatachar (qui) a été bien documentée», selon lui. Mike Diottrige explique qu’elle consistait à attacher dans le dos les bras et les jambes du détenu, provoquant de graves difformités et la paralysie des membres. L’ancien responsable d’Amnesty international a également mis d’autres moyens de torture sur les épaules de Hissène Habré.
Pêle-mêle, il cite la méthode des baguettes, avec des morceaux de bois reliés à la victime jusqu’à ce que du sang coule de son nez. «Il y avait une autre méthode qui obligeait la victime à boire énormément d’eau avec du piment jusqu’à ce qu’elle commence étouffer», documente-t-il. Avant d’ajouter une autre méthode par laquelle «une pipe est mise dans la bouche de la victime où on introduit du gaz d’échappement», en plus de celle de la torture à base de «décharges électriques».
Selon Mike Diottrige, Amnesty a publié plusieurs communiqués de presse pour alerter les autorités tchadiennes. Il précise que l’organisme a tenté, en vain, d’entrer en contact avec Hissène Habré. La seule réponse qu’Amnesty a reçue de Ndjamena, provient, selon Mike Diottrige, du ministre de l’Information à l’époque accusant «publiquement des gens de mauvaise foi (qui) donnaient des informations à Amnesty avant d’inviter à vérifier ces informations auprès des autorités locales», selon l’ancien responsable d’Amnesty, qui cite Idriss Deby, actuel chef d’Etat du Tchad comme étant au courant des tortures et exécutions du régime Habré. Lorsque Hissène Habré dirigeait le Tchad, Déby était à la tête des armées du pays.