samuel etooSamuel Eto’o a lancé mardi dernier à Londres une levée de fonds, en partenariat avec Oxfam et le Haut-commissariat aux réfugiés, pour des déplacés de Boko Haram. Entouré de grandes figures de la musique à l’instar de Manu Dibango et de Maître Gims ainsi que d’Omar Hamidou Tchiana, ministre des Mines nigérien, il a déjà récolté plus de 100 000 livres sterling.

Dans cette soirée, où un entraînement avec la star camerounaise s’est négocié aux enchères à 15 000 livres et où le nœud papillon était de rigueur – mais aussi un compte en banque bien garni -, on ne pouvait a priori se sentir plus éloigné du sort des dizaines de milliers de réfugiés de Boko Haram au Nigeria, au Tchad, au Niger et au Cameroun.

Pourtant, dans la salle de bal du Claridge’s Hôtel, à deux pas d’Hyde Park, à Londres, c’est bien des victimes de la secte islamiste dont il a été question le temps d’une soirée, mardi 27 octobre, à l’initiative de la fondation Samuel Eto’o, de l’ONG Oxfam et du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies, qui ont récolté, le temps d’un gala, plus d’une centaine de milliers de livres sterling.

« La communauté internationale est relativement absente et nous, ensemble, pouvons faire en sorte de venir en aide aux réfugiés », a expliqué l’international camerounais, présentant l’opération, dénommée « Yellow whistle blower FC », devant une assemblée de 150 personnes.

Un peu plus tôt, il avait accordé à Jeune Afrique un entretien. Visiblement décontracté mais concentré, le meilleur joueur d’Afrique de tous les temps a martelé son message : solidarité et entraide à destination des réfugiés. Interview.

Voici plusieurs mois que vous travaillez sur cette initiative en faveur des réfugiés de Boko Haram. Quel a été le déclic ? Un attentat, un témoignage, une rencontre ?

Samuel Eto’o : Pas forcément un attentat, non. Ce qui m’a frappé, c’est d’abord l’indifférence de la communauté internationale. Il fallait que nous, Africains, en parlions, que nous essayions de sensibiliser nos frères. Je ne veux pas me poser en donneur de leçons mais c’était frustrant pour un jeune Africain comme moi de constater ce manque. Nous avons vu les attentats de Charlie Hebdo en France et le soutien que l’Afrique et ses chefs d’État ont apporté à nos frères français et nous ne comprenions pas comment, à l’inverse, le terrorisme pouvait frapper chez nous et laisser insensible le reste du monde.

Auriez-vous souhaité que des chefs d’État européens viennent montrer leur solidarité à Yaoundé, comme leurs homologues africains l’ont fait à Paris ?

Cela va même au-delà car, si on a vu le président François Hollande s’asseoir autour d’une table avec nos chefs d’État, que s’est-il passé concrètement sur le terrain ? Il y a une sorte d’indifférence, en dehors des lendemains d’attentats. Même chez nos frères africains : j’avais le sentiment qu’ils étaient tristes de ce qui arrivait mais qu’ils n’étaient pas prêts à apporter leur soutien. Bien sûr, nous ne pouvons pas tous aller au combat, mais chacun peut apporter son aide, notamment au niveau de l’éducation des populations, qui reste l’arme la plus redoutable. Quand on regarde les jeunes Camerounais qui deviennent des kamikazes de Boko Haram, il faut comprendre que l’ignorance est notre principal ennemi.

Vous parlez d’un manque d’éducation des jeunes. Est-ce à dire que les gouvernements sont en partie responsables ?

Je ne fais pas de politique. J’apporte juste mon aide et cette initiative doit venir compléter les efforts que font nos gouvernements. Je suis un amoureux de l’Afrique et je ne peux donc pas rester insensible. Malgré la bonne volonté gouvernementale, il faut des investisseurs privés qui apportent de l’aide et il ne faut pas tout attendre des responsables politiques. Je sais qu’ils ont une mission difficile et que nos chefs d’État n’ont pas de baguette magique.

Cette initiative ne vous place-t-elle pas dans le domaine de l’action politique, au moins en tant qu’ambassadeur ?

Encore une fois, je ne fais pas de politique. Je reste footballeur. Mais il est vrai que le football a l’intérêt de traverser les frontières, peut-être davantage que la politique.

L’action humanitaire est-elle une reconversion à laquelle vous pensez ?

Pour le moment, ma carrière continue assez bien en Turquie où j’essaie toujours de gagner des titres. Je garde secrètes mes idées de reconversion et je profite du football pour les dernières heures de ma carrière. Mais mes actions dans l’humanitaire, qu’elles se fassent avec la fondation Samuel Eto’o ou non, n’ont pas vocation à s’arrêter le jour où je ne serai plus footballeur.

Allez-vous vous rendre dans les camps de réfugiés du nord du Cameroun ?

Je ne peux pas en parler au préalable, pour des questions de sécurité. Le plus important, c’est de sensibiliser les gens et de faire en sorte qu’on parle de cette situation, même au-delà des attentats.

Que pensez-vous de la mobilisation qui a eu lieu en février 2014 à Yaoundé en soutien aux populations du Nord contre Boko Haram ?

Les gens commencent à comprendre la situation et cette marche était bien entendu la bienvenue. Mais, après, que se passe-t-il ? Comment allons-nous lutter ? C’est le plus important et c’est le sens de mon message : il faut surtout que nous améliorions l’éducation des populations. Encore une fois, c’est l’ignorance qui permet la manipulation.

Vous êtes-vous dit que vous auriez pu, vous aussi, si votre chemin avait été différent, être une des victimes de Boko Haram ?

Bien sûr. Cela aurait pu être moi. Souvent, quand le danger n’est pas proche de nous, on a tendance à l’ignorer. Mais c’est une erreur. Il faut le répéter : c’est un problème qui nous concerne tous.

Votre fondation fêtera ses dix ans l’année prochaine. De quoi êtes-vous le plus fier ?

De ce que nous sommes en train d’accomplir maintenant. Le plus important, c’est le présent, en particulier pour les populations.

Cette action humanitaire est-elle également un moyen de faire taire les rumeurs et de faire oublier les unes des journaux « people » ?

Non. Je n’en ai pas besoin. Quand vous décidez d’apporter votre aide, vous vous exposez à beaucoup d’attaques. Par rapport à ma famille et à certains amis, j’aurais souhaité que ça se passe autrement, mais Dieu l’a voulu ainsi. J’ai essayé de les protéger comme je le pouvais tout en connaissant ma vérité. Je suis convaincu que ceux qui m’ont calomnié l’ont fait parce qu’ils avaient quelque chose à y gagner. Mais le plus important pour moi, c’est le sourire de mes frères africains. Je ne suis pas dans l’intérêt personnel mais dans l’intérêt général.

Que vous inspire le scandale qui touche la Fifa actuellement ?

Ça ne m’intéresse pas. J’ai essayé de m’impliquer dans le fonctionnement de la fédération camerounaise de football il y a quelques années. Cela a été difficile et n’a pas fonctionné. Je ne veux plus le faire aujourd’hui, ni au niveau de mon pays, ni au-delà.

Que pensez-vous de l’accession de votre compatriote Issa Hayatou à la présidence par intérim de l’organisation ?

Je suis content qu’un Africain occupe ce poste à responsabilités. Qui l’aurait cru ? Au-delà de ça, je n’ai pas de réaction particulière. J’espère que cela permettra à d’autres Africains de se dire que ces sommets sont accessibles.

La Coupe du monde de football 2018 se déroule en Russie, où vous avez joué en club. Allez-vous vous investir auprès des Lions indomptables pour cette échéance ?

Je ne pense pas qu’ils aient besoin de mes conseils. Le Cameroun est un pays amoureux du football. Je suis persuadé qu’ils seront prêts et donneront le meilleur d’eux-mêmes. Vraiment, je ne crois pas qu’ils aient besoin de moi.

Thaëïl’D.
avec Jeune Afrique