Pour certains de nos compatriotes, Monsieur le président doit œuvrer à la cohésion nationale, ce n’est pas une mauvaise idée celle-là . Mais une telle ambition exige des méthodes qui soient dignes d’admiration. Mieux, qui permettent qu’on y arrive sans désintégration des intérêts d’une partie de la nation, qu’elle soit une entité politique, une communauté ou des citoyens. Notre cher président, est un politicien qui calcule tout, si ce n’est pas le calcul, son intuition l’empêche de faire des cadeaux désintéressés. Rencontrer Bah Oury, n’est pas un cadeau pour lui encore loin une faveur. La quête de son intérêt personnel conduisit Alpha Condé et y arriver. Pour paraphraser Lord Adam Smith , je dirais : « Ce n’est pas de la bienveillance de M. Alpha Condé , président de la République , commandant en chef des forces armées , père de la nation etc., qu’il rencontra M. Amadou Oury Bah , il le fit à cause du soin qu’il porte à ses intérêts personnels . Ce n’est pas à son humanisme que ce dernier s’adressa pour négocier de ses modalités de retour en Guinée ou d’amnistie, mais à son égoïsme. Il n’a jamais été question de parler de ses besoins de liberté, mais des avantages d’Alpha Condé. »
Bah Oury a toujours suspecté ses camarades du parti d’avoir profité de son exil forcé pour le marginaliser à jamais. A ses yeux, son exil n’est que bénédiction déguisée pour ceux qui n’avaient jamais supporté sa présence et ses convictions. Le président Alpha Condé profite de la crise de confiance entre les cadres de l’UFDG pour dynamiter leur parti. Il veut l’affaiblir à jamais. L’opposition, l’est presque, l’UFR ayant déjà déclaré ne pas se reconnaitre d’elle. C’est son droit de rencontrer qui bon le semble, mais il faut respecter les lois de la République et ses valeurs. On ne peut pas crier partout avoir hérité d’un pays et non d’un Etat et de manquer de faire émerger cet Etat quand l’opportunité de poser des substrats se présente. C’est une inconséquence !
Monsieur Alpha Condé n’a pas besoin de rencontrer un condamné pour discuter de ses modalités d’amnistie. Il discuta, en vérité d’autres choses, des faveurs. C’est un deal : la liberté à toi avec des honneurs et telle faveur, pour moi. Nonobstant, cette formule un peu provocatrice et notre conception de cette façon de faire, si tous les condamnés avaient été rencontrés, l’acte aurait été un peu acceptable, d’un certain point de vue. Sans nul doute, la personne rencontrée et condamnée a un certain poids, dispose des capacités. En Guinée, les acteurs politiques se livrent à une sempiternelle lutte des intérêts et les autres sont en otage. Quand un politique dérange par son sens de l’Etat, la cabale survient. Quand il se distancie et se montre prompt à coopérer, il reçoit les honneurs. L’appareil de l’Etat est devenu le lieu et la place de la fabrication des ennemis imaginaires ou réels, de règlement des comptes, des compromis abscons et dangereux pour nos institutions. Rien n’est donc désintéressé. Pis, la décision de la justice est foulée du pied et par le président devant œuvrer à améliorer l’efficacité de nos instituions. Par celui devant promouvoir le principe de la séparation des pouvoirs et de leur équilibre. Nous sommes dans une collision des pouvoirs et peu d’entre nous, ont le courage de le dire. Quid de l’inhibition de l’action collective ou du cynisme !
Les manquements du président prêtent les flancs à la critique habile et c’est à celle-là que je me livre. L’idée de l’amnistie n’est pas mauvaise, mais la façon de l’accorder pourrait l’être. L’amnistie ferait effacer les condamnations prononcées, mais celles-là n’ont pas été reconnues par tous les condamnés. Les faits, eux, ne le seront guère, mais les actes criminels condamnés, le seront. Certains condamnés sont encore dans nos prisons, humiliés et d’autres y sont sans avoir été jugés. Ces gens-là veulent aussi rencontrer le père de la nation. Ce ne serait aucun mal car eux au moins ne se sont pas éludés de notre justice. Si l’amnistie, à accorder, est individuelle et au profit de la seule personne de M. Bah Oury, elle serait une insulte à notre justice . Je n’ai rien contre qui que ce soit, mais je suis un républicain. J’ai toujours défendu la justice, mais pour tous et la liberté aussi. Si elle est accordée à tous, ce serait un bien, mais aussi une amnésie si tout l’effort se limitait à elle. Comment peut-on nous pousser à oublier des actes qui ne pourront jamais l’être en abusant de la loi qui n’est jamais respectée et qui ne s’applique qu’aux faibles ? L’amnistie qui conduit à faire valoir l’injustice est une amnésie.
Le président Alpha Condé qui veut se montrer ferme face à l’impunité a été sélectif dans sa démarche. Cette sélectivité n’est pas sans intérêts. Il veut de la prison pour certains détenus, de la réconciliation avec d’autres, ceux –là qui réussissent à s’éluder de notre justice qui doit s’appliquer à tous. Ses actes sont des incitations à ne pas respecter la décision de justice, surtout quand on peut se soustraire d’elle ; d’une justice que l’exécutif voudrait qu’elle ne s’applique qu’aux faibles et pauvres. C’est aussi une incitation à faire de la politique et pis à servir de caution au président dans son dessein de dynamiter l’opposition politique. J’ai toujours eu la dent contre notre opposition, malgré ses tares elle ne mérite pas une disparition.
Si l’amnistie doit être accordée à tous, Alpha Condé devrait rencontrer les autres condamnés. D’ailleurs, l’amnistie n’est plus une option, mais une obligation. Car les manquements du président de la République sont tellement graves qu’il a œuvré à l’affaiblissement de la justice guinéenne et que l’amnistie collective s’impose comme évidence. Comme les démarches d’Alpha Condé justifient d’elles-mêmes l’amnistie, cette-là doit être sans amnésie. Le président Alpha Condé doit donc veiller à ce que ceux qui ont été condamnés dans cette affaire de tentative d’assassinat contre sa personne et qui croupissent en prison bénéficient des réparations à la fois matérielles et symboliques. Ceux dont l’emprisonnement a empêché l’exercice de leur fonction et la jouissance de leurs libertés doivent être indemnisés. Les dommages qui subissent sont trop grands pour passer sous silence cette injustice. Ils auront aussi droit à la réhabilitation de l’honneur. Que ceux qui bénéficient de l’indulgence de la justice parce qu’ils peuvent rencontrer le président de la République et ceux qui subissent l’excès de fermeté parce qu’ils sont dépourvus de moyens et de capacités ne bénéficient point de la même amnistie qui doit être collective. Les lésés ont droit aux réparations. L’amnistie pour tous et les réparations pour les lésés.
Soit la justice s’applique à tous et avec les mêmes droits au jugement dû et fermeté, soit elle ne s’applique à personne. Mais quand la justice devient un instrument d’oppression, elle devient dangereuse. N’est-ce pas l’une des raisons pour lesquelles les Guinéens se rendent justice eux-mêmes et que la loi du talion triomphe dans nos villes ? La fermeté pour les faibles et l’indulgence pour d’autres à cause des intérêts politiques, c’est de la justice sélective. La justice sélective, nous la répudions ! Et, au nom des valeurs de la République de Guinée en otage aux intérêts politiques et calculs similaires. Oui à l’amnistie mais non à l’amnésie !
Ibrahima SANOH,
Citoyen guinéen