Lui, Sameer Hajee, a passé un diplôme d’ingénieur au Canada, puis obtenu un MBA à l’Insead à Fontainebleau, une des meilleures écoles privées de management dans le monde, avant d’aller travailler un temps en Californie dans la Silicon Valley sur le développement des microprocesseurs.
Cet itinéraire d’excellence a subi une inflexion récente. « Dans les faits, je résolvais des problèmes pour les riches. Maintenant, je résous des problèmes pour les pauvres. J’ai tendance à trouver cela plus satisfaisant », résume-t-il pour expliquer son retour « à (ses) racines, en Afrique de l’Est ».
Une solution au manque d’énergie en Afrique
Sameer Hajee ne veut pas sauver le monde. Il souhaite juste entreprendre et gagner de l’argent en apportant quelque chose d’utile à ceux qui en ont besoin. L’Afrique manque massivement d’énergie. Sameer Hajee a une solution. « En 1970, 4 % des Africains avaient accès à l’électricité. Plus de quarante années plus tard, cette proportion n’est montée qu’à 10 %. » Il y a dix ans, il a décidé de fonder Nuru, une entreprise qui permet de vendre de l’électricité, produite par le pédalage d’« entrepreneurs » rwandais, kényans ou ougandais.
Sameer Hajee s’est installé en Afrique du Sud, d’où sont originaires ses deux associés. Dix ans plus tard, ils sont 1 200 à pédaler sur des sortes de vélos inclinés, conçus par la société de Sameer Hajee et fabriqués à Shenzhen, en Chine.
Le principe est simple : 20 minutes de pédalage rechargent cinq lampes ou cinq téléphones portables. L’« entrepreneur » – celui ou, plus souvent, celle qui pédale – vend les lampes fabriquées également à Shenzhen et fournies par Nuru. « Nous avons essayé de les vendre 6 dollars, mais c’était trop cher. Alors, nous les vendons 1,50 dollar. C’est à perte, mais cela nous permet de pénétrer le marché » précise-t-il.
Des crédits de pédalage
Ensuite le client final vient faire recharger sa lampe chaque semaine pour 0,20 dollar de pédalage de l’entrepreneur. Celui-ci aura acheté au préalable un crédit de pédalage à Nuru. La société lui envoie en retour sur son téléphone portable un code qui permet de débloquer l’appareil pour une certaine quantité de recharges en électricité d’équipements.
Une lampe rechargée par le système Nuru éclaire une semaine. « L’entrepreneur » peut recharger cinq lampes en même temps, en pédalant chez lui ou dans la petite échoppe qu’il ou elle tient.
« Je crois dans cette solution. Elle est simple. Elle peut être répliquée dans toute l’Afrique », explique Sameer Hajee, autour d’un café, à Davos. C’était sa première participation au Forum économique mondial, qui s’est achevé le 25 janvier dernier. Il avait déjà assisté à des Forums en Inde, en Chine et à Cape Town, en Afrique du Sud. « Ici, en Suisse, le profil des participants est exceptionnel. Les idées foisonnent. On peut recevoir beaucoup d’appuis. Tout le monde est intéressé à ce que les autres réussissent », poursuit-il.
Le Rwanda, élève modèle du développement
Nuru investit en vendant à perte lampes et appareils. Il gagne de l’argent en commercialisant ensuite les crédits d’utilisation. Au départ, l’entreprise de Sameer Hajee a bénéficié d’une bourse de la Banque mondiale pour se développer au Rwanda, considéré comme un élève modèle du développement en Afrique.
Ce qu’il propose va aussi dans le sens de l’histoire. Sa production d’électricité est non polluante et ne contribue pas au changement climatique. Il estime enfin « que pour le consommateur final, cette solution est dix fois moins chère qu’un générateur alimenté au kérosène. »
À l’horizon de cinq années, le jeune homme a son plan : posséder un réseau de 10 000 entrepreneurs en Afrique de l’Est et avoir vendu 2 millions de lampes. Entre-temps, il continuera à revenir chaque année en vacances au Canada, pour rendre visite à son père et à ses sœurs.
« Il y a mieux que gagner des millions de dollars »
« Mon train de vie n’a pas grand-chose à voir avec celui d’un diplômé de l’Insead », reconnaît Sameer Hajee. « Pendant trois ans, nous n’avons pas gagné d’argent. Mais, je crois en cette solution. Elle a été conçue par le terrain, dans la réalité. J’ai aussi envie de prouver qu’il y a mieux, professionnellement, que de gagner des millions de dollars pour une banque d’affaires comme Goldman Sachs ou un cabinet de conseil comme McKinsey. J’ai envie de rester dans ce type de business car je suis convaincu qu’il marche. C’est stimulant. Ce que j’apprécie le plus est de rassembler les pièces du puzzle pour que ma société aille de l’avant. Je me sens bien en phase avec l’Afrique de l’Est. Mais, je ne suis pas africain. Je suis canadien.
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