Le 23 octobre dernier, quelques jours après la présidentielle, le train minéralier de Rusal/Friguia a été attaqué dans un quartier fief de Cellou Dalein Diallo qui s’était autoproclamé président quelques jours plus tôt. De l’attaque, quatre militaires (trois gendarmes et un fantassin) ont été lapidés à mort, décapités. Un des rescapés de cette scène de violence inouïe, encore sous le choc, nous fait un témoignage. Hanté encore par cette scène, n’ayant bénéficié d’aucun soutien psycho-social –ainsi que les autres rescapés-, notre témoin a encore peur. Il a si peur qu’il préfère nous relater la scène horrible sous l’anonymat.
Le contingent descendait pour faire des tirs de sommation à chaque barricade
« Je suis agent de la voie ferrée. Notre travail, c’est de nous occuper de la voie ferrée de Fria jusqu’à Dubreka. Mais ce jour (23 octobre, NDLR) exceptionnellement, on avait deux trains qui étaient bloqués entre le port et la gare que nous avons à Sonfonia. Et il y a avait un autre train qui avait aussi quitté Fria, qui était bloqué à Gbantama au (PK 65). Suite aux émeutes, les riverains avaient mis des gravats sur la voie pour empêcher que ces trains rentrent.
Des agents de la voie ont été envoyés pour enlever les gravats ; pour que le train puisse continuer sa route. C’était juste ça notre objectif. On a été sélectionné au nombre de 12 au départ. Nous avons rejoint une partie de l’équipe de Conakry qui s’est ajoutée à nous. Ce qui faisait 16, en plus du contingent militaire qui est à Fria, qui devait nous accompagner pour nous sécuriser pour notre travail. Parce que dès fois, les riverains même en temps normal, il y a des enfants, quand ils voient le train, ils le caillassent.
Donc à chaque fois que nous arrivons à un niveau où il y avait une barricade, le contingent descendait pour faire des tirs de sommation, juste pour éloigner les manifestants, afin que nous puissions enlever la barricade, qui était composée de n’importe quoi. Nous avons même trouvé un conteneur en travers des rails. Nous étions à bord du train service. C’est celui-là qui nous transporte tous les jours, quand on a des interventions à faire ».
ceux qui étaient sur la route Le prince jetaient des cailloux, ceux qui étaient du côté de la T7 aussi. Et ceux dans le quartier nous attendaient…
« Arrivés dans les zones de Tobolon, Niariwada, Tamouyah, T7, à l’aller, nous avons commencé à recevoir des cailloux sur le train. Mais le contingent descendait, faisait des tirs de sommation, pour nous permettre de dégager la voie. Et le train service évoluait. Mais, nous avons remarqué qu’à chaque fois qu’on dégageait la voie, une fois que nous passons, ils reviennent pour en remettre. Arrivés à Sonfonia, il n’y avait aucun problème et les gens vaquaient à leurs occupations. A ce niveau, on a trouvé un train régulier là-bas, celui qu’on est allé chercher pour le convoyer et le faire sortir de la zone à risque. Les militaires ont dit de faire la composition du train, c’est-à-dire de mette le train service devant avec les militaires et le train aluminier derrière nous. Nous on va s’accrocher l’un à l’autre. Ce qui veut dire en fusion. Je leur ai dit que la manière dont on est venus va ragaillardir les gens là au retour. Il y a un militaire parmi eux qui a dit non non, nous sommes habitués à ça. On a traversé des choses qui sont plus difficiles que ça. La manière qu’on est venu, c’est de la même manière qu’on va repartir.
On a finalement fait la composition du train, on a bougé, arrivés au niveau de la T7, là où on avait dégagé, il y a moins d’une heure de temps, il y avait encore plus de gravats. Les travailleurs ont dit de se retourner. Mais le contingent (militaires) a dit que non ! Ils sont descendus et ont commencé à faire des tirs de sommation. Je confirme qu’ils n’ont tiré sur personne. Ils tiraient en l’air. Mais nous avons vu que ceux qui étaient sur la route Le prince jetaient des cailloux, ceux qui étaient du côté de la t7 aussi, ils étaient un peu éloignés, mais jetaient des cailloux. Et ceux dans le quartier nous attendaient aussi. On avait désormais un train très long. Et tout le monde se retrouvait devant. Il n’y avait plus personne derrière pour sécuriser. Après avoir dégagé la voie, quand le train a voulu bouger, on a vu que les manifestants avaient désaccouplé les aluminiers et les citernes Fuel. Quand on a bougé, on a vu que les aluminiers ne nous suivaient plus. Et on ne pouvait plus revenir pour refaire le couplage. Parce que les manifestants avaient remis une barricade. On ne pouvait plus reculer ».
Leur commandant n’arrêtait d’appeler : envoyez-nous des renforts ; envoyez-nous des renforts, sinon ils vont tous nous tuer ici
« On avait continué dans le quartier. Nous enlevons les gravats, les cailloux ne faisaient que pleuvoir. Nous nous sommes donc tous réunis à la tête de la machine. C’est à ce moment que j’ai compris que les gendarmes qui nous accompagnaient, manquaient de munition maintenant. Parce que j’ai entendu l’un dire à son collègue, donne-moi cette cartouche-là, pour que je travaille avec ça. Et l’autre lui a répondu, moi-même je n’en ai plus. Leur commandant aussi s’est levé, il a commencé à appeler et à dire envoyez-nous des renforts ; envoyez-nous des renforts, sinon ils vont tous nous tuer ici. Il a appelé plus de 10 fois ».
Les enfants (assaillants) avaient compris que les gendarmes ne tiraient plus des coups de sommation
« Les enfants (assaillants) avaient compris que les gendarmes ne tiraient plus des coups de sommation. Mais ces derniers faisaient semblant de les viser, mais ne tiraient pas. Ils (les assaillants) ont osé ouvrir les 6 vannes des citernes fuel. Chacune fait 5000 litres. J’ai vu des jeunes courir dans le quartier prendre les gants et ouvrir la vanne. Le mazout a coulé vers le dépotoir d’à côté, qui était déjà en feu. Et c’est pour cela il y a eu la fumée que vous avez vu sur les photos. Finalement, le conducteur aussi a eu peur. Il a forcé l’obstacle qui est devant et les deux trains ont déraillé. Qu’est-ce qu’on pouvait faire ? On ne pouvait pas rester dans le train ».
Nous nous sommes cachés dans une famille, mais le monsieur a été obligé de nous livrer à eux
« C’est là où a commencé la débandade. Les militaires et nous, chacun a cherché à quitter le wagon pour se cacher. J’ai couru avec l’un de mes amis on est allé d’un côté, suivi des gendarmes. On est allé dans une impasse. Il y avait un parmi nous qui avait escaladé un mur très haut. Nous nous sommes cachés dans une famille, qui nous a accueillis. Mais, il y a un qui nous a vus et a signalé aux autres que nous étions rentrés dans la maison. Ils se sont arrêtés devant la porte et ont intimé au monsieur de nous faire sortir, sinon qu’ils allaient bruler la maison. Le monsieur a été obligé de nous livrer à eux ».
Ils m’ont dit de me déshabiller, pour voir si je ne porte pas de treillis
« Je ne sais pas à combien ils étaient. Mais ils m’ont roué de coups ; j’ai compris qu’il y en a qui cherchaient mon téléphone, mon argent, tout ce que j’avais. Je les ai suppliés en Poular, en disant que je n’y suis pour rien dans cette situation. Je suis un travailleur, qu’on m’avait juste dit de prendre le train pour partir. Mais les coups continuaient à pleuvoir. Ils m’ont dépouillé de tout. Ils m’ont dit de me déshabiller, pour voir si je ne porte pas de treillis. L’ami avec lequel j’étais, a témoigné au prix de sa vie que je ne suis pas un militaire. Ils lui ont dit, non ! On ne tue pas d’abord. Va rester auprès de ton ami. On va régler le compte de tes amis là (les militaires, ndlr)».
Ils les ont lapidés jusqu’à leur mort. Il y a un autre qui est venu avec une machette. Il a dit non, ils ne sont pas encore morts. Il a commencé à les trancher
« Ceux dont je vous parle, c’est des adolescents dont l’âge varie entre 13 à 17. Ceux parmi eux qui ont 20, 22 ou 23 ans, ne dépassent pas 10 personnes. Ils étaient chauffés à bloc.
On n’était pas en face des 3 militaires, mais ils n’étaient pas loin de nous. Ils leur ont demandé de donner leurs armes. Ceux-ci ont obtempéré. A genoux, ils leur ont dit qu’ils n’ont pas tué quelqu’un. Pardonnez-nous, pardonnez-nous ! Disaient-ils. Après avoir récupéré les armes, l’un des manifestants est directement sorti du groupe. Je l’ai vu partir avec les armes. Ils leur ont pris les casquettes et les gilets pare-balle. Au moment où ils parlaient, je ne sais pas d’où est venu un caillou qui a fracassé la tête du commandant. C’est là que des milliers de cailloux ont commencé à être jetés sur eux. Ils les ont lapidés jusqu’à leur mort. Il y a un autre qui est venu avec une machette. Il a dit non, ils ne sont pas encore morts. Il a commencé à les trancher. Il ne coupait pas entièrement la peau du corps.
Au moment où ils étaient affairés à ça, le monsieur qui nous avait accueillis, nous a dit de profiter de ce moment pour fuir. Il avait pris notre défense, quand l’un d’entre eux avait dit qu’il allait nous tuer. Il avait dit non, on ne fait pas de mal à un civil. Nous ne connaissons pas le quartier. Mais nous nous sommes enfoncés dans le quartier en partant vers l’université Obama.
Le gendarme a obtempéré. Ils sont entrés dans la chambre et l’ont achevé dans la maison avec une machette…
« Quand nous nous sommes cachés, on avait un autre ami et un gendarme, qui s’étaient également cachés auprès de nous dans une autre maison. On savait leur présence, mais quand ils nous ont fait sortir de la maison, on n’a rien dit. Mais il y avait un enfant d’environ 8 ans qui a signalé aux manifestants qu’un gendarme s’était caché dans la maison. Les manifestants sont montés sur la toiture, ils ont vu le militaire. D’après les explications de mon ami ; après les trois autres gendarmes, ils ont pris une hache et s’en sont pris au cadre de la porte du bâtiment ou était caché le gendarme. Ils ont demandé à notre ami d’ouvrir la porte, que sinon, s’ils rentrent, ils allaient les tuer ensemble. Le gendarme a obtempéré. Ils sont entrés dans la chambre et l’ont achevé dans la maison avec une machette. Notre ami a été cogné à l’œil. Avec mon ami, nous ne connaissions pas le quartier. Mais nous avons emprunté les ruelles…»
Une interview réalisée par Abdou Lory Sylla pour guinee7.com