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Frère et soeur jusqu’à la mort : dans le Pas-de-Calais, Francis et Karine se sont laissés mourir de faim

Francis et Karine Lampin , 65 et 54 ans, ont été retrouvés morts début mai dans leur petite maison de Fouquière-lez-Lens où ils vivaient à l’écart du monde. Visiblement surendettés, tous deux avaient cessé de s’alimenter.

Karine et Francis ont été retrouvés sans vie dans leur maison. de Fouquières-lez-Lens (Pas-de-Calais). LP/Olivier Lejeune 

L’histoire débute comme un livre de Gaston Leroux, façon « Mystère de la chambre jaune ». Mais elle s’achève sur du Zola, un drame social au pays de Germinal. Le 4 mai dernier, Elodie Lamon est inquiète. Depuis environ trois semaines, elle n’aperçoit plus ses voisins d’en face, Francis et Karine Lampin. Le frère, 65 ans, et sa petite sœur, 54 ans, habitent depuis plusieurs années au 14 de la rue de Mulhouse à Fouquières-lez-Lens, une maison typique en briques à un étage. Toute la rue est bâtie sur le même modèle : en plein bassin minier, l’habitat est celui des anciennes Houillères.

D’habitude, Élodie croise ses voisins deux fois par semaine : le jeudi quand ils se rendent au marché de la ville voisine de Harnes et quand ils vont faire quelques courses au Lidl. Toujours inséparables. Francis est handicapé mental et sa sœur souffre également de problèmes de santé. « J’ai constaté qu’ils ne sortaient plus, même les poubelles n’étaient pas vidées, détaille cette secrétaire médicale. Le lundi matin, un huissier s’est présenté mais la porte est restée close. J’ai appelé la police puis les pompiers. Ils ont dû casser une fenêtre pour rentrer. » À l’intérieur, les secours découvrent le corps de Francis dans la cuisine puis celui de Karine à l’étage, dans la chambre. Les décès remontent déjà à plusieurs jours.

Un représentant du parquet de Béthune se déplace. La maison n’est pas en désordre et ne présente aucun signe d’effraction. Mais un élément intrigue : il n’y a aucune nourriture à l’intérieur. Une enquête pour « recherche des causes de la mort » est ouverte. Les résultats de l’autopsie ― glaçants — vont rapidement y mettre un terme. Francis et Karine Lampin sont morts de faim et de soif. « De dénutrition, précise Thierry Dran, le procureur de la République de Béthune. Ils se sont laissés mourir. »

« Karine, je l’appelais ma tchiotte »

Pour la justice, les investigations sont closes. Mais cet épilogue judiciaire pose beaucoup plus de questions qu’il n’en résout. « Je ne comprends pas comment ils sont morts », ressasse Dominique, la voisine dont ils étaient le plus proches. « C’est moi qui les ramenais du marché le jeudi et, à chaque fois, le caddie était plein. J’ai eu mal au cœur en apprenant la nouvelle. Je les adorais. Karine, je l’appelais ma tchiotte », poursuit-elle devant sa cour joliment fleurie.

Dominique est la voisine dont les Lampin étaient le plus proches.  LP/Olivier Lejeune

Les racines de ce drame sont certainement profondes. La vie des défunts est une succession de ruptures brutales au sein d’une famille modeste, désunie et meurtrie. Francis est l’aîné d’une fratrie de huit. Un père mineur de fond adepte d’une éducation stricte et une mère au foyer qui décède prématurément au début des années 1980. En 1995, un fils Lampin installé en région parisienne est assassiné dans des conditions atroces pour un motif crapuleux – ses agresseurs écoperont de 25 années de réclusion criminelle. Premier choc. « Ils ont commencé à avoir peur de tout », avance Alain (le prénom a été changé), un membre de la fratrie.

Le décès du père, encore un bouleversement

Compte tenu de son handicap, Francis reste auprès de son père. Il travaille au sein de l’Esat (Établissement et service d’aide par le travail) de Montigny-en-Gohelle dans le domaine des espaces verts mais doit être accompagné. Deux de ses petites sœurs, Claudine, décédée l’an dernier, et Karine, ne quittent pas non plus le foyer familial. Même si elles ne sont pas handicapées, elles sont fragiles. En 2005, le décès du père de famille est un nouveau bouleversement. « Tant qu’il était là, ça allait, indique Alain. Mais quand ils se sont retrouvés à trois, ils n’ont jamais réussi à s’en sortir. Ils sont restés vivre ensemble mais n’ont jamais voulu qu’on les aide. Je suis allé plusieurs fois leur rendre visite mais ils ne souhaitaient pas me voir. Ils ont coupé les ponts avec tout le monde. » À Noël 2005, une brouille sur une histoire de prêt d’argent rompt définitivement les liens entre Alain et ses frères et sœurs.

Christian (le prénom a également été changé), un autre frère, décrit lui aussi un inexorable repli. « Ils ont formé une cellule à eux trois. Ils refusaient tout contact avec la famille et n’avaient pas non plus d’amis. Ils se sont laissé attraper par la misère », se désole-t-il. Désemparée, Donata Hochart, la maire de Fouquières-lez-Lens, confirme cet isolement complet. « Cette famille n’était pas connue de nos services, remarque l’élue. On a ressenti un grand choc en apprenant ces décès dans de telles circonstances. Comment peut-on mourir de faim en 2021 ? » Le parquet de Béthune n’a retrouvé aucune trace de demande de tutelle. « J’avais évoqué le sujet mais Claudine et Karine avaient fermement refusé », se souvient Christian.

C’est Elodie, n’ayant plus aperçu ses voisins depuis quelque trois semaines, qui a donné l’alerte.  LP/Olivier Lejeune

Mais selon leurs voisins, tant qu’ils sont encore à trois, Francis, Claudine et Karine Lampin semblent se satisfaire de cette vie de peu. « On voyait bien qu’ils avaient peur du monde extérieur. Même quand Francis tondait la pelouse, ses sœurs étaient là pour surveiller, relate Élodie. Mais ils étaient tout le temps ensemble, cette fraternité, c’était touchant. » Dominique, chez qui ils se rendaient pour utiliser un téléphone, avait, elle aussi, remarqué cette angoisse viscérale qui les avait poussés à installer un système d’alarme. « Mais ils n’avaient pas l’air malheureux, assure-t-elle. Ils étaient autonomes et ne vivaient pas dans la misère. » Ils subsistent grâce à des allocations sociales et à la maigre retraite de Francis.

La mort brutale de Claudine, emportée par une crise cardiaque en septembre 2020, chamboule ce fragile équilibre. « C’est sans doute l’élément déclencheur », avance la maire du bourg. « Claudine faisait marcher la maison, elle conduisait et gérait les comptes. C’était la maîtresse de maison », détaille Christian. Après ce décès, la fratrie ne s’était guère rapprochée. Ainsi, Alain et Christian n’ont même pas été prévenus de la mort de leur sœur. Ils ont appris les trois décès en même temps. Les liens étaient certes rompus, mais ils encaissent difficilement.

Un dernier élément pourrait avoir précipité la bascule fatale. Francis et Karine étaient tombés dans la spirale du surendettement, criblés de crédits à la consommation pour acquérir, entre autres, des appareils électroménagers à peine déballés. Étaient-ils ruinés au point de ne plus être en mesure de faire la moindre course ? Pas nécessairement. Dans une région marquée par la solidarité, leur appel au secours aurait été entendu de la mairie, des voisins ou même de leur famille. « Même si on était brouillés, je me serais bougé s’ils avaient demandé de l’aide », jure Alain, affecté.



Isolés, déboussolés, soudés jusqu’à l’extrême, Francis et Karine Lampin ont semble-t-il fait le choix radical de partir en cessant de s’alimenter. Ils laissent derrière eux quantité de questions en suspens. Et un sentiment de tristesse infinie.

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