La France, ses partenaires européens et le Canada ont confirmé le retrait du Mali des opérations militaires antidjihadistes Barkhane et Takuba.
L’annonce est maintenant officielle. Jeudi 17 février, la France, ses partenaires européens et le Canada ont confirmé le retrait du Mali des opérations militaires antidjihadistes Barkhane et Takuba du fait de la dégradation des relations avec la junte à Bamako. « Les conditions politiques, opérationnelles et juridiques ne sont plus réunies » et les pays ont décidé « le retrait coordonné » du Mali, tout en assurant de leur « volonté de rester engagés dans la région » du Sahel, en proie à la contagion djihadiste, et d’« étendre leur soutien aux pays voisins du golfe de Guinée et d’Afrique de l’Ouest », selon une déclaration conjointe. Les « paramètres » de cette réorganisation seront arrêtés « d’ici juin 2022 », pour faire « progresser la paix et la prospérité en Afrique », a précisé Charles Michel, président du Conseil européen.
Lors d’une conférence de presse à l’Élysée, tenue à partir de 9 h 15 GMT, Emmanuel Macron a indiqué, à l’encontre de la junte militaire au pouvoir au Mali, que « la lutte contre le terrorisme ne peut pas tout justifier, elle ne doit pas sous prétexte d’être une priorité absolue se transformer en exercice de conservation indéfini du pouvoir ». « Nous ne pouvons rester engagés militairement aux côtés d’autorités de fait dont nous ne partageons ni la stratégie ni les objectifs cachés », a expliqué le président français, précisant que la « France n’oublie aucun des 53 soldats morts, aucune des familles touchées et l’ensemble des blessés ». Le pays maintiendra un rôle « d’appui », de « partenaire ».
Emmanuel Macron a également récusé le terme « échec » dans ce contexte. À propos de la société paramilitaire russe Wagner, il a expliqué que le Mali est « libre de structurer des relations militaires avec la Russie » même s’il « embauche des mercenaires venus sécuriser leurs intérêts économiques ». « Nous avons commencé à fermer des bases au nord (du Mali) nous allons progressivement tout fermer, dans un exercice qui va prendre 4 à 6 mois », a ajouté Emmanuel Macron.
Double coup d’État
La France est militairement présente depuis 2013 au Mali, proie des groupes djihadistes qui sévissent aussi dans d’autres États sahéliens. Paris est intervenu pour enrayer la progression des groupes islamistes radicaux menaçant Bamako et a ensuite mis sur pied une vaste opération antidjihadistes régionale, Barkhane, déployant des milliers de soldats pour lutter contre les franchises locales d’Al-Qaïda et du groupe État islamique.
Toutefois, malgré des victoires tactiques, le terrain n’a jamais été véritablement repris par l’État malien et ses forces armées. Facteur aggravant, le gouvernement malien a été renversé lors d’un double coup d’État en 2020 et en 2021, aboutissant à l’arrivée au pouvoir d’une junte qui refuse d’organiser des élections avant plusieurs années et qui surfe sur un sentiment antifrançais croissant dans la région.
Mises au ban par les États ouest-africains, les autorités maliennes fustigent la présence militaire occidentale sur leur sol et font désormais appel, selon les Européens, aux mercenaires russes de la société Wagner. Quelque 25 000 hommes sont actuellement déployés au Sahel, dont environ 4 300 Français (2 400 au Mali dans le cadre de Barkhane), selon l’Élysée. Le pays accueille aussi 15 000 soldats de l’ONU au sein de la Minusma, dont l’avenir est désormais en suspens puisqu’elle comptait sur un large soutien de Barkhane.
« Vide » sécuritaire
Le Mali était au cœur du dispositif antiterroriste français et européen au Sahel. Emmanuel Macron avait déjà décidé d’amorcer à l’été 2021 une réduction des effectifs français au profit d’un dispositif régional moins visible, mais ce départ contraint du pays va forcer Paris à accélérer cette réorganisation dans d’autres pays de la région menacés par la contagion djihadiste, notamment dans le golfe de Guinée.
« Nous considérons que la lutte contre le terrorisme est quelque chose d’essentiel pour le Mali, pour le Burkina, pour le Niger et pour les pays côtiers », a assuré le président ivoirien Alassane Ouattara mercredi sur RFI et France 24. « Le départ de Barkhane et de Takuba [groupement de forces spéciales européennes, NDLR] crée un vide. Nous serons obligés d’acheter des armes, d’avoir une plus grande professionnalisation, mais c’est notre devoir aussi. Les armées nationales doivent régler les problèmes sur nos territoires nationaux et c’est cela, notre philosophie », a-t-il estimé.
« Nous avons besoin de réinventer notre partenariat militaire avec ces pays », a souligné, mardi, la présidence française. « Il ne s’agit pas de déplacer ce qui se fait au Mali ailleurs, mais de renforcer ce qu’on fait au Niger et de soutenir davantage le flanc sud », a-t-elle ajouté.
Selon une source proche de l’Élysée, la France a promis de coordonner son retrait avec la mission de l’ONU au Mali et la Mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM), qui continueront de bénéficier d’un soutien aérien et médical français sur place, avant le transfert ultérieur de ces moyens. Hors du Mali, Paris compte poursuivre la lutte antidjihadistes dans la région, où les mouvements affiliés à Al-Qaïda ou au groupe État islamique ont conservé un fort pouvoir de nuisance malgré l’élimination de nombreux chefs.
Le retrait des forces françaises du Mali aura un « impact » pour la mission de l’ONU dans ce pays, qui fera le nécessaire pour « s’adapter », a indiqué son porte-parole Olivier Salgado jeudi. « Il y aura forcément un impact », a-t-il dit à l’AFP. « Cet impact est actuellement à l’étude. Nous prendrons les dispositions nécessaires pour nous adapter au nouveau contexte afin de pouvoir poursuivre la mise en œuvre de notre mandat », a-t-il ajouté.
Outre un possible renforcement de sa présence au Niger voisin, qui héberge déjà une base aérienne française et 800 militaires, Paris ambitionne de proposer ses services à d’autres pays d’Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Sénégal, Bénin…) pour les aider à contrer la propagation du djihadisme vers le golfe de Guinée. Depuis 2013, 53 soldats français ont été tués au Sahel, dont 48 au Mali.