Dernièrement, les renversements “démocratiques” et coup d’états intempestifs sont devenus monnaie courante en Afrique, plus particulièrement en Afrique de l’ouest francophone. Pour faire face à ce phénomène, le Réseau de Solidarité pour la Démocratique en Afrique de l’Ouest (WADEMOS) a organisé une conférence régionale multipartite à Abidjan, en Côte d’Ivoire, du 1er au 2 août 2023, qui s’est penchée sur la discussion du déclin démocratique et les transitions politiques en Afrique de l’Ouest francophone. À l’issue des discussions auxquelles a notamment pris part Cheikh Fall, président de AfricTivistes, plusieurs recommandations ont été dégagées pour promouvoir et sauvegarder les acquis démocratiques au bénéfice, entre autres parties prenantes, de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la société civile et les populations locales.

Avec la prise de pouvoir militaire au Niger, l’Afrique de l’ouest s’enlise dans un cycle inquiétant de “renversements démocratiques constants”. Au cours des trois dernières années, 6 coups d’État sont survenus en Afrique de l’ouest francophone: Deux au Mali en 2020 et 2021, un en Guinée en 2021, deux au Burkina Faso en 2022 et au Niger en 2023. Il faut aussi noter dans la région ouest-africaine, deux tentatives de coups en Guinée Bissau et en Gambie en 2022.

Ces coups d’Etat ont été enregistrés dans un contexte de “mépris généralisé des libertés politiques et civiles”, associé à une “aggravation de l’insécurité et à des difficultés économiques croissantes”, lit-on dans la déclaration finale de la la conférence régionale de Wademos. Des experts en démocratie et en gouvernance de la région ouest-africaine et des hauts fonctionnaires de la Commission de la CEDEAO, des acteurs pro-démocratie et experts en démocratie et gouvernance de la région, ainsi que des responsables de la CEDEAO ont pris part à la conférence.

En modérant la table ronde sur le “Déclin de la démocratie en Afrique francophone”, le président de AfricTivistes, Cheikh Fall, a interpellé les intervenants sur la décadence et la rupture de confiance envers les démocraties représentatives, l’absence des états et les sentiments d’abandon qui nourrissent les ambitions séparatistes ou les crises sécuritaires, entre autres sujets d’actualité.

Les intervenants étaient: Ibrahima Kane, juriste et conseiller spécial à Open Society Foundation et responsable du programme Union africaine avec une connaissance approfondie des dynamiques sociopolitiques en Afrique. Mathias Hounkpe, expert dans la promotion des élections et de la bonne gouvernance dans la sous-région. Augustin Loada, universitaire qui a contribué à plusieurs recherches sur la gouvernance, les dynamiques politiques et la démocratie dans la région. Aissatou Kanté, chercheure au bureau régional de l’Institute for Security Studies (ISS) qui mène d’importants travaux sur les coups d’Etat. Lassane Ouedraogo, docteur en arts et études médiatiques, enseignant et chercheur sur l’éducation aux medias, la representation et l’identite, l’islam, les groupes non étatiques et le changement social.

Cette table ronde a été une opportunité pour les intervenants de partager leurs expériences et de partager des recommandations et des pistes de solutions.

Pour les différents acteurs qui ont pris part à cette conférence multipartite, il faut prendre en compte un certain nombre de facteurs pour comprendre cette situation. Parmi ces facteurs, il y a, selon eux, le “mécontentement croissant parmi les citoyens Ouest-Africains concernant les processus et les résultats de la gouvernance démocratique, à l’encontre des attentes populaires selon lesquelles la démocratie favoriserait le bien-être économique des citoyens ordinaires”, citent-ils dans le document.

A ces facteurs favorisants s’ajoutent, poursuivent-ils, “le retour des coups d’État militaires, la manipulation des constitutions et des résultats des élections pour la prolongation des mandats, la menace d’un extrémisme violent, en particulier au Sahel, et l’émergence de forces et d’influences extérieures qui ont mis un coup d’arrêt aux premiers progrès notés en matière de démocratisation et de consolidation démocratique en Afrique de l’ouest francophone”, regrettent-ils en alertant sur cette récente “vague” qui est la “la plus alarmante” de  la dernière décennie.

Toutefois, les acteurs et experts soutiennent qu’au niveau régional, le soutien à la démocratie et à la gouvernance démocratique reste “élevé”. Cela malgré une “insatisfaction” croissante à l’égard de l’état de la gouvernance démocratique depuis la dernière décennie, notamment dans les pays francophones, notent-ils. Ils reconnaissent toutefois  les “efforts déployés par la CEDEAO pour, d’une part, renforcer la “résilience face aux principales menaces et renversements rencontrés au sein de la région”. D’autre part, les efforts visant à réviser le “Protocole régional sur la démocratie et la bonne gouvernance; en particulier en imposant des limites de mandats en Afrique de l’Ouest, et en renforçant la sécurité et la stabilité régionales, y compris les changements anticonstitutionnels de gouvernement en Afrique de l’Ouest.”

Il faut savoir que le réseau WADEMOS est un Réseau transnational de solidarité démocratique, non partisan et indépendant, dirigé par la société civile et composé de plus de trente-cinq (35) organisations de la société civile situées dans 15 pays d’Afrique de l’Ouest. L’objectif du réseau WADEMOS est de mobiliser, coordonner et exploiter le pouvoir collectif de la société civile et d’autres acteurs, ressources et opportunités pro-démocratie au sein de la région de l’Afrique de l’Ouest en vue de faire progresser, défendre et revigorer la démocratie et promouvoir les normes et réformes démocratiques dans la sous-région.

Les recommandations de la conférence d’Abidjan pour un retour de la gouvernance démocratique

Ainsi, les discussions ont permis de tabler sur une série de recommandations en vue de mettre fin au déclin démocratique à travers “des réflexions sur ses facteurs déclencheurs” et sur les “stratégies d’intervention aux processus de transition actuels en Afrique de l’Ouest Francophone”. Pour un retour de la gouvernance démocratique dans les pays de l’Afrique de l’Ouest francophone, les participants à la conférence demandent  entre autres à :

  • Faciliter un dialogue politique inclusif impliquant toutes les parties prenantes, y compris les partis politiques, la société civile, les groupes religieux, les groupes de femmes et les communautés marginalisées.
  • Fournir un soutien et une protection aux OSC qui œuvrent pour la promotion des droits de l’Homme, de la démocratie et de la bonne gouvernance. Ces organisations jouent un rôle essentiel dans la promotion de réformes démocratiques et dans la responsabilisation des gouvernements.
  • La nécessité de se libérer de l’influence coloniale persistante et d’adopter une approche plus endogène de la démocratie en Afrique de l’Ouest tout en promouvant l’éducation civique à la démocratie.
  • Les juntes militaires doivent impliquer la société civile, les partis politiques, les jeunes, les femmes et les communautés minoritaires dans le processus de transition. L’inclusion de toutes les voix renforcera la légitimité des décisions prises et créera un sentiment de responsabilité partagée pour l’avenir du pays.
  • La société civile doit être habilitée à s’engager dans une éducation persistante à la démocratie civique, en particulier à la suite de la montée croissante des discours antidémocratiques qui prennent de l’ampleur à travers l’Afrique de l’Ouest. Nous devons lancer  une campagne vigoureuse contre la désinformation actuelle ciblant la démocratie et contrer le nouveau discours qui oppose que l’autoritarisme à la démocratie est une entreprise cruciale.
  • Les OSC ne doivent pas se concentrer uniquement sur le processus et les délais de  transition. Nous devons réorienter et élargir nos interventions en vue d’englober l’ensemble du parcours de gouvernance. Ce changement stratégique est essentiel pour maintenir la pertinence, en particulier dans les cas où les putschistes accèdent à  des rôles de gouvernance.
  • Les OSC doivent s’efforcer d’exercer une pression sur l’Union africaine (UA) afin de réduire les  incohérences (chevauchements) entre l’UA et la CEDEAO en laissant le principe de  subsidiarité s’appliquer en cas de changements anticonstitutionnels. Cela implique que  la CEDEAO, en tant qu’organisme régional ayant une compréhension plus directe du  contexte et des défis en Afrique de l’Ouest, devrait se voir accorder plus d’autorité et  d’autonomie pour traiter les cas de changements anticonstitutionnels de gouvernement au sein de ses États membres.
  • Les OSC devraient envisager de former une alliance stratégique avec un plan  d’intervention bien défini et indépendant qui servira de cadre global pour guider leurs  interventions pendant les transitions.