Le mariage des enfants : chiffres et tendances – L’on se rappelle que, lors de sa récente rencontre avec le chef de file de l’opposition et les membres de son cabinet, au Palais Sékoutouréya, le président Alpha Condé avait cité parmi les sujets préoccupants du moment celui du mariage des enfants en Guinée. Pour cette première partie de notre dossier qui coïncide avec le mois de la femme, Guinéenews s’est intéressé à ce phénomène du mariage d’enfants vu son impact négatif sur la santé de la mère et de l’enfant.
En effet, signataire des conventions internationales concernant les droits de l’enfant et de la femme, l’Etat guinéen n’a cessé de multiplier les efforts pour le recul du mariage d’enfants dans le pays, dit-on. Ainsi, des visites de terrain ont été organisées sur l’ensemble des régions naturelles du pays. Des visites qui ont permis de relever des informations plus spécifiques auprès des acteurs du gouvernement, de la société civile, des agences des Nations Unies, des associations de jeunes, des femmes de la région et de certaines préfectures. A cette occasion, une collecte de données directe auprès des communautés a été effectuée. Cette collecte a permis d’affiner l’analyse des causes du phénomène du mariage précoce et de déterminer différents cas de figure.
A noter de passage que les communautés ont également été consultées sur les stratégies et les interventions envisagées. Dans l’ensemble des communautés visitées, dit-on, la proposition des fonctions et compétences parentales en parallèle à des formations aux compétences de vie courante pour les adolescents aurait suscité le plus d’intérêt. Dans la mesure où ces formations favorisent le dialogue entre les parents et les adolescents, en particulier sur les questions d’éducation sexuelle.
De l’avis des experts du ministère de l’Action sociale et de l’Enfance, le mariage d’enfants connait une diminution lente du fait de plusieurs facteurs socioéconomiques et culturels.
Selon le document de plaidoyer pour la promotion de l’abandon du mariage d’enfants, en Guinée, le taux de mariage d’enfants était de 17,4% en 2018, de 25,9% en 2012 et de 31,8% en 1992 pour les filles qui se sont mariées avant 15 ans parmi la tranche d’âge de 20 à 49 ans. Ce taux était à 46,4% en 2018, 57,8% en 2012 et de 76,6% pour les femmes qui se sont mariées avant 18 ans pour cette même tranche d’âge (DHS 2018/2012/1992).
Comme on le voit, le mariage d’enfants est en diminution. Cependant, les experts du ministère de l’Enfance estiment que cette diminution reste lente. Et d’après eux, si ce rythme est maintenu, il faudra encore plusieurs décennies pour espérer voir le phénomène disparaître.
Les disparités géographiques dans le pays reflètent des réalités différentes entre les ethnies, mais également entre les populations urbaines et rurales.
En ce qui concerne les tendances, le taux le plus élevé de mariage d’enfants se trouve dans la région administrative de Labé avec 75,9% de femmes mariées avant 18 ans dans la tranche d’âge de 20 à 49 ans. La région de Labé est suivie de plus près par les régions de Kankan et de Mamou avec des taux respectifs de 69,1% et 67,8% alors que le taux le plus bas se trouve à Conakry avec 37,1% (MIC 2019).
L’éducation, une possible solution
Il est avéré que l’éducation permet de protéger les filles. Elle fait baisser non seulement le nombre de mariages précoces, mais aussi la mortalité infantile. Pour preuve, 62,6% des filles n’ayant aucune instruction se marient avant l’âge de 18 ans, contre 53,8% des filles ayant fait le primaire et 25,7% ayant continué jusqu’au secondaire et plus.
L’âge médian de la première union pour les filles appartenant au quintile de bien-être économique le plus pauvre est de 15,5 ans, contre 15,6 ans pour le second, troisième et quatrième quintile et 17,4 ans pour celui le plus riche.
L’urbanisation favorise également le recul de l’âge de la première union. La majorité de la population guinéenne vit en zone rurale et ne bénéficie pas des effets favorables à l’abandon du mariage d’enfants créé par le niveau de vie, un meilleur accès aux services sociaux de base, en particulier l’éducation et la santé.
Causes du mariage des enfants
Il est établi que le mariage d’enfants est à la fois une conséquence et un symptôme de la discrimination basée sur le genre favorisée par le patriarcat ; la recherche et l’accès à une information filtrée en réaction au tabou concernant la sexualité favorisant sexualité et grossesse précoce ; l’insuffisance de l’offre de service tant au niveau de l’accès que de la qualité, en particulier pour l’éducation et la santé ; la pauvreté ; une perception de l’enfant différente de celle de la convention des droits de l’enfant désavouant l’adolescence et affectant le système de protection ; la déconsidération du cadre légal moderne au profit des pratiques traditionnelles et religieuses.
Conséquences du mariage d’enfants
Les conséquences néfastes du mariage des enfants les plus visibles et les plus critiques, sont celles sur la santé de la mère et de l’enfant. Ceci ayant par contre un coût et un impact économique très souvent ignoré. En Guinée, on dénombre à 31% les adolescents de 15 à 19 ans qui ont déjà eu au moins une grossesse et 41% de décès des filles de 15 à 19 ans sont liés aux grossesses précoces.
Politique et cadre légal
La République de Guinée est signataire de la majorité des textes et initiatives internationales sur les questions du mariage d’enfants qui l’engagent juridiquement et politiquement. Elle est également signataire de l’essentiel des conventions internationales sur la protection de l’enfant. Dans son plan stratégique national de promotion de l’abandon du mariage d’enfants dont l’exécution s’étend de 2021 à 2025, le gouvernement guinéen a entrepris la définition de plusieurs dispositions législatives et réglementaires, politiques et stratégies allant vers une harmonisation avec les engagements internationaux.
Aussi, la Constitution guinéenne de 2020 proclame : son attachement aux droits fondamentaux de la personne humaine tels que consacrés dans la Charte de Nations Unies et autres instruments internationaux et africains ; l’égalité entre les citoyens (pas de discrimination) y compris entre les femmes et les hommes. Elle proclame que la famille et le mariage constituent les fondements naturels de la vie en société et sont protégés et promus par l’Etat. La Constitution fixe d’ailleurs l’âge du mariage à partir de 18 ans pour la femme. Elle précise qu’ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de la dissolution.
Le code civil réglemente aussi les questions relatives à l’état civil et fixe l’âge du mariage à 18 ans pour le garçon et pour la jeune fille. Il fait du consentement, le préalable pour le mariage.
En dépit de toutes ces dispositions légales qui garantissent les droits de l’enfant, en ce qui concerne le mariage d’enfants, la religion et les traditions continuent de prendre le dessus, favorisant ainsi le mariage précoce avec toutes les conséquences que cela comporte.
Pour mettre un terme à ce phénomène, les autorités guinéennes entendent engager une action coordonnée par le gouvernement qui doit se construire autour de quatre axes stratégiques complémentaires. Il s’agit en premier lieu du dialogue intergénérationnel qui consiste à générer et entretenir le dialogue au sein de la famille en autonomisant les filles avec des informations et des compétences de vie et en équipant les parents avec les compétences parentales en particulier pour l’adolescence. Le dialogue communautaire vient en deuxième lieu. Il s’agit de consolider la sensibilisation en favorisant un dialogue social menant à une mobilisation collective pour accélérer l’abandon du mariage d’enfants. En troisième lieu, les autorités entendent favoriser l’accès à des services de qualité. Cette phase consiste à améliorer l’accessibilité et la qualité des services de santé, de l’éducation, de protection et autres services sociaux pour les filles. Le dernier axe porte sur le renforcement institutionnel. Il sera question d’appuyer un renforcement institutionnel favorisant la mise en œuvre effective de la stratégie d’abandon du mariage d’enfants et de son plan d’action.
Pour joindre l’acte à la parole, les autorités du ministère de l’Action Sociale et de l’Enfance ont élaboré un plan d’action budgétisé et rédigé une feuille de route pour sa mise en œuvre effective afin de promouvoir l’abandon du mariage d’enfants en République de Guinée. L’exécution de cette feuille de route s’étant sur une période de cinq ans allant de juin 2021 à décembre 2025.
Par ailleurs, alors que 25 millions de mariages d’enfants ont été évités au cours de la dernière décennie à travers le monde, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) prévient que les progrès enregistrés sont gravement menacés.
Dix millions de mariages d’enfants supplémentaires risquent d’être conclus d’ici à la fin de la décennie, menaçant d’anéantir des années de progrès pour réduire cette pratique, selon une nouvelle analyse récente publiée par l’UNICEF.
Dans son rapport intitulé Covid-19 , le Fonds parle de menace pour les progrès enregistrés contre le mariage des enfants, publié à l’occasion de la Journée internationale des femmes, prévient que les fermetures d’écoles, les contraintes économiques, la perturbation des services, les décès durant la grossesse et les décès parentaux imputables à la pandémie augmentent les risques de mariage pour les filles les plus vulnérables.
Un dossier réalisé par Guilana Fidel Mômou
(Source : ministère de l’Action Sociale et de l’Enfance).