De nombreuses personnalités publiques sont impliquées dans le démantèlement et la vente des rails Conakry-Niger. Ce sont des hommes d’affaires, des anciens ministres reconvertis en hommes politiques, des magistrats, des militaires, gendarmes, mais aussi des membres de la famille du feu Président Général Lansana Conté.

Suite au coup d’Etat du 23 décembre 2009 perpétré par le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) du Capitaine Moussa Dadis Camara, des audits ont été engagés dans différents secteurs. C’est le cas du secteur des Transports, notamment le chemin de fer Conakry-Niger. En mars 2010, la comité d’audit, représentée par  Oumar Ibrahima Touré (CASSSE), Cheick Camara, (IGF), Dr Ousmane Kaba, superviseur et vice-président du Comité d’audit,  a présenté son rapport.

Dans ce rapport dont Guinéenews détient copie, les auditeurs ont fouillé depuis le début de piquetage des premiers kilomètres, qui a commencé le 7 janvier 1900, jusqu’à l’arrivée du chemin de fer à Kankan (14 août 1910), puis de l’arrêt du trafic en 1996 jusqu’au démantèlement et à la vente des rails en 2007.

Selon le rapport d’audit, la Guinée a enregistré 620 morts lors des travaux de la voie ferrée et « un nombre incalculable de blessés et d’handicapés à vie ». Le dernier train à assurer la liaison Conakry-Kankan, a quitté le Nabaya le 02 mai 1995 avec cinq wagons transportant des graines de coton pour arriver à Conakry trente jours plus tard.

Le démantèlement des rails, traverses, boulons, éclisses, crapauds d’éclisses et certains ponts et leur exportation est marqué tout d’abord par le décret du Général Lansana Conté du 23 octobre 1996 portant «libéralisation de la commercialisation de la ferraille composite ».

Les enquêteurs expliquent que la ferraille composite c’est  l’ensemble des métaux ferreux et des métaux non ferreux. Les métaux ferreux et les métaux non ferreux sont constitués notamment de rails usés, essieux de trains, 22 traverses de chemins de fer, canons, vieux tracteurs, carcasses de véhicules, tôles légères, blocs de moteurs, rébus de garages et autres.»

Si, à la suite de ce décret du Président Conté, la voie ferrée Conakry-Niger a été démantelée, le comité d’audit ne pense pas que l’acte de libération de la ferraille composite avait des objectifs malsains : « Nous n’avons pas trouvé dans cette initiative présidentielle, durant nos investigations, une intention maligne cachée dans ce Décret ou une opération visant expressément la voie ferrée Conakry-Niger. »

L’Office national des chemins de fer de Guinée (ONCFG) était la structure qui gérait la voie ferrée Conakry-Niger qui relie Conakry et Kankan. Mais entre 1996 et 2000, l’ONCFG a connu une diminution drastique de son personnel. Ce qui fait que la voie ferrée, désormais sans surveillance effective, a subi les assauts des riverains de la voie, notamment dans les préfectures de Kankan, Kouroussa et Dabola. Rails et traverses étaient régulièrement, mais ponctuellement, volés et vendus au Mali voisin où des fonderies étaient demanderesse de ferrailles, explique le rapport. Malgré tout, les matériaux volés étaient remplacés chaque fois que c’est possible par l’ONCFG. La Direction générale de cette structure, mais aussi les autorités civiles, militaires ou paramilitaires étaient régulièrement alertées de ces opérations de démantèlement « criminelles ».

Des cheminots condamnés, les voleurs libérés

La haute hiérarchie militaire et la famille du Président Conté sont accusées par les auditeurs d’être responsables des opérations de démantèlement et de vente des rails et traverses. Des démarcheurs étaient recrutaient sur le long de la voie ferrée pour le démantèlement et des sociétés de transport à qui on a donné  de Laissez-passer et d’Ordres de Mission, assuraient la collecte, payaient « rubis sur ongle et évacuaient les matériaux sur Conakry » sous la protection des militaires et des gendarmes.

Mais les cheminots qui étaient sur l’axe Kindia-Mamou-Dabola, appuyés par certaines autorités préfectorales et régionales de Mamou et de Kankan, avaient pu empêcher la régularité de l’évacuation des rails et travers vers Conakry. Parfois des « saisies audacieuses étaient opérées malgré les menaces de mort proférées contre eux par les accompagnateurs en tenue. » En 2005, suite à ces saisies, les cheminots ont déposé des plaintes au niveau des services de sécurité et des tribunaux locaux.

« Contre toute attente, dans toutes ces préfectures, les voleurs sont libérés et les cheminots condamnés, après des interventions téléphoniques venues de Conakry », a fait savoir le Comité d’Audit, avant de conclure que ces jugements ont été le facteur déclenchant du démantèlement de masse de la voie ferrée dans ces zones (Kankan- Kouroussa, Dabola et Mamou), puisque les populations riveraines, qui ont pris connaissance de la libération des « voleurs », et étant sollicités par les démarcheurs, ont répondu à « la demande pressante et intéressante par une offre plus intensive. »

Pour faciliter l’évacuation de la ferraille sur Conakry, ajoute le Rapport d’audit, des Laissez-passer issus du Secrétariat général de la Présidence de la République, de la Présidence elle-même (Famille présidentielle), de l’Etat-major des Armées, d’Ordres de Mission d’Officiers supérieurs de l’Armée et d’Ordonnances judiciaires de Tribunaux étaient mises à la disposition des collecteurs et des transporteurs.

« En conséquence, du démantèlement artisanal et ponctuel effectué par la population, on est passé à l’opérationnalisation méthodique de la collecte, du transport et du stockage de la ferraille de la voie ferrée, en toute impunité et ce malgré les efforts notables de mise en garde fournis par le ministre des Transports de l’époque, M. Aliou Condé.

Le 1er avril 2005, Fodé Bangoura, Directeur du protocole d’Etat, Secrétaire général de la Présidence et ministre Secrétaire général de la Présidence à l’époque, et actuel président du PUP, a rédigé un laisser-passer sur ordre de la Présidence. Ce document concernait « uniquement les stocks saisis dans les préfectures et les mettre à la disposition de la SODEFA en relation avec la Direction générale de l’ONCFG ». Officiellement, l’argent issu de la vente de cette ferraille devrait permettre la construction de la Base de la Marine nationale à l’île de Tamara. Selon les enquêteurs, ce laissez-passer  a eu des conséquences dramatiques dans le démantèlement, le stockage et le transport des rails.

La mission d’enquête soutient, dans sa conclusion, que le laissez-passer de Fodé Bangoura « a eu des conséquences dramatiques dans le démantèlement, le stockage et le transport des rails », puisqu’il a permis de lever complètement « les scrupules des autorités préfectorales, régionale et sécuritaires dont certaines, entre 2000 et 2004, arrêtaient et saisissaient les convois, empêchant ainsi la fluidité et la tranquillité des convois. C’est ce laissez-passer, ajoutent les enquêteurs, qui a permis, en association avec d’autres laissez-passer et ordres de mission, l’accélération du processus de démantèlement et la disparition de la voie ferrée.

Pire, Fodé Bangoura aurait refusé de soutenir et d’appuyer, auprès du Général Lansana Conté, un projet de Décret soumis par le ministre des Transports de l’époque (Mars 2004-26 mars 2006) Aliou CONDÉ (actuel vice-président de l’UFDG), portant sur «l’interdiction de la vente, de l’achat et l’exportation de la ferraille » en 2005. Ce dernier aurait fourni de nombreux efforts de 2004 à 2006 pour « arrêter le processus de démantèlement, identifier et traduire en justice tous les coupables de cet ignoble phénomène, en vue de leur châtiment exemplaire».

Il est donc reproché à l’actuel président du Parti de l’Unité et du Progrès (PUP) une complicité active dans le processus de démantèlement et de vente des rails.

Le 4 janvier 2005, le Chef d’état-major de l’Armée, Kerfalla Camara a émis un ordre de mission autorisant  la société SORADEM d’Ousmane Diarra Condé de transporter la ferraille de Kamsar et de Kindia pour Conakry.

Le commandant de la Compagnie routière à l’état-major de la Gendarmerie nationale, commandant Moussa Yaradouno, et Momo Soumah, commissaire divisionnaire, Directeur de la Sécurité routière au ministère de la Sécurité, ont paraphé l’ordre de mission de l’ »Entreprise de Collecte de Ferraille » le 10 janvier 2005 remis aux agents  collecteurs de ferraille chargés du ramassage et de recherche des épaves à Conakry et à l’intérieur du pays. Cet ordre de mission était signé par le PDG de l’entreprise, Elhadj Salifou Conté « Djannanké »

Si le ministre Aliou Condé semble être au-dessus de tout soupçon de complicité, active ou passive, l’Inspecteur génération des Transports (IGT), tout comme le ministre Boubacar SOW (2007), Dominique Ibrahima Traoré, aurait une responsabilité indirecte dans l’affaire du fait de « son silence coupable sur cette opération, en temps qu’IGT, dès lors que l’opinion publique en avait fait longtemps ‘ses choux gras’ ; la non initiation officielle d’aucune enquête ni la rédaction d’un quelconque rapport officiel à sa hiérarchie pour les informer de ce qui se dit partout dans le public ni de manière responsable comme le requiert sa fonction, visité les lieux de démantèlement ».

Moussa Sampil, ministre de la Sécurité de juillet 1996 à octobre 1997 puis de décembre 2002 à mai 2005, est mis dans le lot des fonctionnaires de l’Administration qui « stigmatisent, déplorent ou insinuent la famille présidentielle, mais s’empêche de prendre des décisions de responsabilité, de rigueur et de droiture dans l’intérêt du pays. »

C’est le cas de Kiridi Bangoura, ministre de l’Administration du territoire et de la décentralisation à l’époque « impuissant face à des forces supérieures de destruction publiques ». Car Ousmane Conté, fils du Président de la République et Général Kerfalla Camara, Chef d’état-major de l’Armée d’alors, sont aussi accusés d’être les responsables du démantèlement et de la vente des rails.

La justice trempée…

La Justice de Paix de Dabola et le Tribunal de première instance de Kindia sont aussi cités dans ce rapport d’audit pour avoir joué un rôle dans cette affaire. Il s’agit de l’Ordonnance de vente de rails et traverses saisis n°02/JP/DLA/05 de la Justice de Paix de Dabola, datée du 20 mai 2005, ordonnant la main levée sur les saisies de la ferraille composite entreposées devant la Prison civile de Dabola ; la Réquisition n° 078 du 29 septembre 2005 du Tribunal de Première Instance signée du Procureur du Tribunal de Kindia,  Alpha Sény CAMARA, « portant main levée sur quatre (4) camions contenant rails et ferrailles » saisis à Kindia. Ces camions avaient été saisis grâce à l’unique action de Moussa Sampil qui a installé une Brigade Anti-Criminalité (BAC) à Kindia. C’est cette BAC qui avait arrêté et déféré des individus avec des véhicules chargés de rails.

Un couple mouillé jusqu’au cou…

Des contrevérités qui agacent. Alpha Ibrahima Keira, ministre des Transports 2006-2007, qui a été également ministre Secrétaire général de la Présidence, aurait caché la vérité à la mission qui l’a entendu le 18 janvier 2010. Il a, selon le rapport d’audit,  affirmé qu’à son arrivée, le démantèlement et l’exportation des rails étaient terminés, le secteur ayant été saboté par des cadres guinéens. Il aurait donc ainsi entrepris des projets pour sa relance, notamment un nouveau Tanka, mais que le ministère des Finances a fait obstacle.

Plus loin, il dit qu’il  n’a jamais signé de contrat de vente de rails, ni appuyé la requête de qui que ce soit, et certifie que son épouse, Mme KEIRA Marie Seth CAMARA n’est pas associée à qui que ce soit et que c’est par naïveté et manque de niveau qu’elle a signé le laissez-passer AGASEPT. D’ailleurs, il aurait affirmé ne pas connaitre la société AGASEPT. Tout ceci n’est que contrevérité, puisque, selon les auditeurs, « il a bel et bien vu et avalisé le contrat de AGASEPT, dont son épouse est Présidente du Conseil d’Administration, avec l’ONCFG pour l’achat des rails. Il a rompu le contrat de SAFRICOM avec l’ONCFG au profit d’AGASEPT, selon M. Alsény BARRY dans sa déposition. »  Il est donc, aux yeux du comité d’audit, un complice actif.

Mme KEIRA Marie Seth CAMARA, Présidente du Conseil d’Administration des Ets AGASEPT a écrit une lettre n°009/OA/03 le 18  novembre 2003 au ministre du Commerce, de l’Industrie et des PME relative à «la demande de collecte et d’exportation de ferraille ». Ce dernier lui a donné son accord le 3 décembre 2004. Puis, elle a signé le laissez-passer du 13 septembre 2004 dans lequel elle  prie «les autorités de la circulation routière, les barrages et les services judiciaires de bien vouloir faciliter la circulation de nos véhicules chargés de transporter les différentes qualités de rails, traverses de chemins de fer, etc. en provenance des préfectures, la durée de l’opération reste la fin des travaux».

Son mari, alors ministre des Transports, Alpha Ibrahima Keira, a également donné son accord pour la signature du contrat le 4 décembre 2006, liant AGASEPT à l’ONCFG, pour la commercialisation des rails et traverses.

Tout comme son mari, Marie Seth Camara dit aux auditeurs qu’elle ne connaît ni la société (AGASEPT), ni son agrément, mais qu’elle a été impliquée par son chauffeur. Elle affirmé n’avoir jamais été présidente du CA des Ets AGASEPT, n’avoir jamais participé ni à l’enlèvement, ni au transport, ni au stockage ni à l’exportation des rails et traverses de la voie ferrée, et n’a non plus signé aucun contrat de commercialisation. Une chose que le comité d’audit a trouvée fausse, puisque les documents et les témoignages l’ont attesté.

« Malgré ses dénégations, on peut retenir contre Mme KEIRA les charges suivantes d’auteur du démantèlement, de transporteur des rails, d’acheteur et d’exportateur des rails », conclut l’équipe d’audit supervisée par Dr Ousmane Kaba.

Des hommes d’affaires accusés

L’homme d’affaires Alseyni Barry, Président-Directeur Général de SAFRICOM a obtenu un contrat de vente des rails et traverses avec l’Office national des chemins de fer de Guinée (ONCFG) le 10 mai 2006. Lors de son entretien avec le comité d’audit, il a reconnu avoir déposé l’offre de service n° 31/115/250/SAF/2006 du 25 janvier 2006, et la signature du contrat de vente de rails et traverses du 10 mai 2006 avec l’ONCFG. Il dit avoir payé la facture n°0174/ONCFG/06, d’un montant de GNF 66 000 000 (60 tonnes), acompte de 20% d’un lot de 500 tonnes, par un chèque BICIGUI du 11 mai 2006, déposé au compte de l’ONCFG, à la SGBG, le 15 mai 2006. Il a accusé Alpha Ibrahima Keira d’avoir rompu son contrat avec l’ONCFG au profit de son épouse, Marie Seth CAMARA, jeune sœur de la seconde épouse du Général Lansana Conté, Kadiatou Seth Conté.

L’autre homme d’affaires à être mêlé de cette affaire de vente des rails, c’est Alimou Barry, Directeur général des Ets Barry et Frères (Cube Jumbo). Il n’aurait jamais répondu aux sollicitations du comité d’audit, et n’a donc pas pu être entendu.  Il avait fait une demande d’obtention d’un contrat d’achat de ferraille composite et autres ferrailles se trouvant sur la voie ferrée.

Pour le cas d’Alseyni Barry de SAFRICOM, les auditeurs le qualifient « d’homme d’affaires véreux, opportuniste », avant de l’accuser d’être « mêlé à toutes les sombres affaires commerciales et autres qui ont assombri l’économie guinéenne ces dernières décennies et prêt à toutes les compromissions pour se faire de l’argent. »

Quant à Alimou Barry des Ets Barry et Frères,  estime que malgré le fait qu’il est réputé sérieux dans le milieu des affaires, « c’est un cas tout aussi typique de l’homme d’affaires opportuniste, prêt à l’exploitation de toutes affaires réputées bonnes et réussies par ses concurrents. » Selon le comité d’audit, il pourrait bien être impliqué dans cette affaire de vente des rails.

Les auditeurs affirment la valeur estimative des matériaux de la voie ferrée est d’environ 7 millions 318 mille 605 dollars américains, valeur calculée sur la base du prix de cession des rails à SAFRICOM, soit 660 000 GNF la tonne et au taux de change d’USD 1 = GNF 5 000.

La ferraille était transporté à Dubaï (États Arabes Unis), en Inde et au Bangladesh par MAERSK LINES