L’auteur britannique Salman Rushdie, dont l’ouvrage Les versets sataniques avait fait de lui la cible d’une fatwa de l’ayatollah iranien Rouhollah Khomeini en 1989, a été poignardé ce vendredi alors qu’il s’apprêtait à donner une conférence. Il a été opéré en urgence.

Salman Rushdie s’apprêtait à prendre la parole dans l’amphithéâtre de la Chautauqua Institution à l’occasion d’un prestigieux festival littéraire, quand un homme s’est précipité sur l’estrade et a frappé l’écrivain et son intervieweur. Des séquences vidéo publiées sur les réseaux sociaux montrent des personnes courir pour venir en aide à quelqu’un allongé au sol. La salle a été rapidement évacuée.

La police de l’État de New York indique que Salman Rushdie a été poignardé « au moins une fois » au cou et « au moins une fois » à l’abdomen. L’écrivain a été transporté par hélicoptère dans un hôpital de la région où il a subi une intervention chirurgicale. Dans un communiqué, son agent Andrew Wylie annonce qu’il a été placé sous assistance respiratoire et qu’il a été gravement blessé : « Les nouvelles ne sont pas bonnes. Salman devrait vraisemblablement perdre un œil, les nerfs de son bras ont été sectionnés, et il a été poignardé dans le foie, qui a été endommagé. » L’intervieweur a pour sa part été légèrement blessé à la tête.

L’auteur de l’agression, dont le mobile n’est pas encore connu, a été arrêté et placé en garde à vue. La police a indiqué qu’il s’agissait d’un homme de 24 ans originaire du New Jersey, qu’elle a identifié sous le nom de Hadi Matar et dont elle a dit penser qu’il avait agi seul.

Le Premier ministre britannique Boris Johnson a condamné l’attaque. Je suis « atterré que Sir Salman Rushdie ait été poignardé alors qu’il exerçait un droit que nous ne devrions jamais cesser de défendre », a-t-il écrit sur Twitter en allusion à la liberté d’expression. Plus tôt, l’association de défense des écrivains dans le monde, PEN América, s’était dite aussi « sous le choc et horrifiée » en révélant que vendredi matin, l’auteur leur avait écrit pour proposer son « aide à des écrivains ukrainiens ».

« Nous sommes aujourd’hui, plus que jamais, à ses côtés », a tweeté Emmanuel Macron, rappelant que l’écrivain incarne depuis 33 ans « la liberté et la lutte contre l’obscurantisme ». « La haine et la barbarie viennent de le frapper, lâchement. Son combat est le nôtre, universel », a encore déclaré le président français.

Symbole malgré lui

Salman Rushdie, aujourd’hui âgé de 75 ans, a été propulsé sous les projecteurs avec son deuxième roman Midnight’s Children en 1981, qui a remporté des éloges internationaux et le prestigieux Booker Prize britannique pour son portrait de l’Inde post-indépendance. Mais son livre Les versets sataniques publié sept ans plus tard lui a valu d’être visé par une « fatwa » appelant à sa mort par l’ayatollah iranien Rouhollah Khomeini. Le roman était considéré par certains musulmans comme irrespectueux envers le prophète Mahomet.Salman Rushdie, né en 1947 à Bombay en Inde, deux mois avant son indépendance de l’Empire britannique, essaie de ne pas être réduit au scandale ayant entraîné cette fatwa. Mais la montée en puissance de l’islam radical n’a cessé de le ramener à ce qu’il a toujours été aux yeux de l’Occident : le symbole de la lutte contre l’obscurantisme religieux et pour la liberté d’expression. Déjà en 2005, il considérait que cette « fatwa » avait constitué un prélude aux attentats du 11 septembre 2001.

Contraint dès lors de vivre dans la clandestinité et sous protection policière, allant de cache en cache, il se faisait appeler Joseph Anton, en hommage à ses auteurs favoris, Joseph Conrad et Anton Tchekhov. Il avait dû affronter une immense solitude, accrue encore par la rupture avec sa femme, la romancière américaine Marianne Wiggins, à qui Les versets… étaient dédiés. Installé à New York depuis quelques années, Salman Rushdie avait repris une vie à peu près normale tout en continuant de défendre, dans ses livres, la satire et l’irrévérence.

Mais la « fatwa » n’a jamais été levée et beaucoup de traducteurs de son livre ont été blessés par des attaques, voire tués, comme le Japonais Hitoshi Igarashi, victime de plusieurs coups de poignard en 1991.

Salman Rushdie a été anobli en 2007 par la reine d’Angleterre, au grand dam des extrémistes musulmans. Ce maître du réalisme magique, homme d’une immense culture qui se dit apolitique, a écrit en anglais une quinzaine de romans, récits pour la jeunesse, nouvelles et essais.

RFI avec agences