Le Sénégal, un pays longtemps considéré comme un exemple de démocratie en Afrique de l’Ouest, traverse actuellement une période de crise rarement vécue, marquée par la tension politique, les atteintes aux droits de l’homme, et les incertitudes quant à la stabilité pacifique du pays. Les événements récents, tels que l’arrestation et l’emprisonnement d’opposants politiques, détournement de fonds publics (force covid-19), les restrictions à la liberté de la presse (convocations et arrestations de journalistes), et les manifestations populaires, soulèvent des questions sur l’état de la démocratie sénégalaise.
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Face à ces menaces de plus en plus assumées, il est crucial d’examiner les causes profondes de cette crise et de s’interroger sur la manière dont les autorités politiques et les institutions peuvent œuvrer pour préserver et renforcer la démocratie au Sénégal.
Le Sénégal sous l’ère Macky
Février 2012 : Macky Sall est élu président du Sénégal avec 65,8% des voix en battant le président sortant Abdoulaye Wade au second tour des élections présidentielles. Cette élection est considérée comme un exemple de transition démocratique pacifique en Afrique, car elle fait suite à une période de tensions pré-électorales marquée par des manifestations violentes contre la troisième candidature d’Abdoulaye Wade, jugée en violation de la limitation des mandats présidentiels à deux. Macky Sall est le principal acteur politique qui a tiré profit de cette volonté populaire de limiter les mandats à deux.
Avril 2013 : Des accusations de corruption et de détournement de fonds publics pèsent sur Karim Wade fils de l’ancien président Abdoulaye Wade. Il est soupçonné d’avoir illégalement acquis un patrimoine considérable en utilisant sa position au sein du gouvernement. Karim Wade est arrêté et inculpé pour enrichissement illicite. S’ensuit un procès très médiatisé, qui dure près de deux ans. En mars 2015, il est condamné à six ans de prison et à une amende de 138 milliards de francs CFA pour lui et 10 autres milliards francs CFA à verser collectivement avec ses complices (environ 338 millions de dollars) pour enrichissement illicite. En juin 2016, après avoir purgé environ la moitié de sa peine, Karim Wade bénéficie d’une grâce présidentielle. Il dénonce aujourd’hui un exil forcé au Qatar. Sa candidature à l’élection présidentielle de 2019 est rejetée par le Conseil constitutionnel en raison de sa condamnation qui a entraîné une perte de ses droits civiques.
Mars 2016 : Macky Sall organise un référendum constitutionnel pour appliquer un “verrou constitutionnel” relatif à la limitation du nombre de mandat consécutif ainsi que sur la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans. Les propositions sont approuvées par la victoire du OUI au référendum (avec 62,7 %), bien que la participation électorale soit faible (40 %).
Mars 2017 : Khalifa Sall, maire de Dakar et figure de l’opposition, est arrêté pour des présomptions de faux et usage de faux en écritures de commerce, faux et usage de faux sur des documents administratifs escroquerie sur des deniers publics, détournement de fonds publics, blanchiment de capitaux et association de malfaiteurs. Élu député pendant la période de l’instruction de son dossier, il a été maintenu en prison contre toutes les règles qui encadrent l’immunité parlementaire. Il est condamné en 2018 à cinq ans de prison. Sa candidature à la présidentielle de 2019 sera aussi rejetée par le conseil constitutionnel qui estime que sa condamnation entraînait la perte de ses droits civiques. Il bénéficiera lui aussi d’une grâce présidentielle en septembre 2019 mais n’est toujours pas rétabli dans ses droits civiques.
Mars 2019 : Macky Sall est réélu pour un second mandat lors de l’élection présidentielle de février 2019 avec 58,27 % des voix. L’élection est marquée par l’élimination de deux candidats de l’opposition, Khalifa Sall et Karim Wade, en raison de condamnations judiciaires.
Février 2021 : Ousmane Sonko, figure de l’opposition politique et leader du mouvement Pastef, a été accusé d’agression sexuelle par une employée d’un salon de beauté où il se rendait pour des séances de massage. Sonko a nié ces allégations et les a qualifiées de complot politique visant à l’éliminer du paysage politique sénégalais. La plaignante a déposé une plainte pour viol et menaces de mort. Suite à ces accusations, Sonko a été arrêté le 3 mars 2021 et inculpé pour trouble à l’ordre public et participation à une manifestation non autorisée alors qu’il se rendait au tribunal pour répondre aux accusations d’agression sexuelle. Son arrestation a déclenché des manifestations massives et violentes dans tout le Sénégal entraînant une dizaine de morts et de nombreux blessés. Les manifestants ont dénoncé ce qu’ils considéraient comme une tentative de museler l’opposition et ont exigé la libération de Sonko. Ces manifestations, qui ont été très violemment réprimées, sont également alimentées par des frustrations plus larges concernant les problèmes économiques et sociaux du pays, ainsi que par des inquiétudes quant à la démocratie et l’indépendance de la justice. Certains observateurs politiques considèrent que les accusations portées contre lui sont motivées politiquement, visant à discréditer et à affaiblir un adversaire politique tandis que d’autres y voient purement et simplement une manœuvre politique pour écarter un sérieux rival potentiel. Toute cette crise suscite des critiques et des inquiétudes concernant l’équité du processus électoral depuis l’arrivée au pouvoir de Macky Sall car Ousmane Sonko pourrait être le troisième adversaire politique à se faire écarter de la course à la présidentielle.
Août 2022 : Un rapport de la Cour des Comptes sur le contrôle de la gestion du fonds de riposte et de solidarité contre les effets de la Covid-19 (Force Covid) a mis en évidence des « fautes de gestion et des infractions pénales » présumées qui seraient commises durant les années 2020-2021. Elle relève aussi des conflits d’intérêts et entorses au Code des marchés. Cette même cour a publié des rapports annuels de la qui ont très souvent décelé des problèmes de gestion des finances publiques dans plusieurs secteurs, tels que l’éducation, la santé, les infrastructures et les collectivités locales. En Avril 2020, AfricTivistses faisait déjà appel à plus de transparence dans la gestion de cette crise de la Covid-19.
Crise de la démocratie : Les raisons d’alerter
L’échec des élites politiques : L’une des principales menaces à la démocratie sénégalaise réside dans l’échec des élites politiques à incarner et à mettre en œuvre les principes démocratiques. En quête de pouvoir, ces élites deviennent souvent des praticiens de l’autocratie une fois élus, sapant ainsi les institutions et les mécanismes de contrôle et de redevabilité qui sont essentiels au fonctionnement d’une démocratie saine.
La corruption et la mal-gouvernance : La corruption et la mal-gouvernance sont également des facteurs qui contribuent à la fragilisation de la démocratie sénégalaise. Les affaires de détournement de fonds publics et de mauvaise gestion, ainsi que l’absence de poursuites contre les responsables, nourrissent un climat de méfiance entre les citoyens et les institutions de l’État. Ce sentiment d’absence d’une justice équitable et indépendante alimente des frustrations et révoltes.
Velléités de confiscation du pouvoir : La limitation des mandats présidentiels est un élément clé pour assurer un renouvellement démocratique et prévenir la monopolisation du pouvoir. Malheureusement, au Sénégal comme dans d’autres pays africains, les acteurs politiques défendent le principe de limitation des mandats lorsqu’ils sont dans l’opposition. Cependant, une fois élu, ils cherchent à contourner ou à modifier les règles pour se maintenir à vie au pouvoir, mettant ainsi en péril la stabilité démocratique. Abdoulaye Wade l’a déjà fait et aujourd’hui, tous les signaux envoyés par Macky Sall font douter de sa volonté de respecter ce “verrou constitutionnel” qu’il a lui-même proposé dans la Constitution sénégalaise lors du référendum de 2016.
La menaces sur les libertés fondamentales : La restriction des libertés de la presse, d’expression et de manifestation représente une autre menace pour la démocratie sénégalaise. Ces entraves sont souvent justifiées par des raisons de sécurité ou d’ordre public, mais elles pourraient en réalité servir à museler l’opposition et à empêcher les citoyens de s’exprimer librement sur les questions d’intérêt public. Elles témoignent aussi d’une justice à deux vitesses car au moment où certains sont arrêtés et envoyés en prison pour une publication sur Facebook, d’autres continuent à jouir de leur liberté après avoir publiquement proféré des appels au meutre. Après plusieurs arrestations de journalistes, des menaces contre certains médias et contre les réseaux sociaux, l’ONG Reporter Sans Frontières dénonce un contexte inquiétant envers les journalistes et médias.
Tout ce tableau alarmant du bilan du Président Macky Sall au pouvoir depuis 11 ans met en évidence les tensions politiques au Sénégal et soulève des questions sur l’indépendance de la justice, la liberté d’expression et le respect des droits de l’homme dans le pays.
Que faut-il faire ?
Il est urgent d’adopter des mesures pour renforcer la démocratie et protéger les acquis démocratiques. Un simple appel au dialogue politique ne peut pas être la solution. Ce dialogue doit faire suite à un préalable et non des moindres, celui de respecter les règles du jeu démocratique gage d’une alternance démocratique et d’une stabilité politique au Sénégal. Le président Macky Sall a hérité d’un Sénégal stable et démocratique. Il est donc de sa responsabilité historique, de son attachement aux valeurs républicaines ainsi que de son devoir moral de préserver nos acquis démocratiques fruits de plusieurs années de lutte et de sacrifice.
Il incombe donc au président Macky Sall, à qui le peuple souverain a donné la mission de lui assurer une vie paisible et la défense de ses textes et de ses droits de poser les fondements pour un dialogue constructif.
Ces fondements ne peuvent pas être établis en dehors des points suivants :
- Le respect de la limitation des mandats présidentiels comme le stipule l’article 27 de la Constitution du Sénégal, afin d’éviter au Sénégal ce qui pourrait-être l’une de ses pires crises politiques.
- Le rétablissement d’un État de droit en garantissant et en renforçant la liberté d’expression et la protection des droits des citoyens y compris la liberté d’expression et le droit de manifester pacifiquement. Ces droits doivent être respectés et protégés. Les arrestations d’activistes, de journalistes et d’opposants politiques doivent cesser.
- L’organisation des conditions d’un dialogue inclusif et constructif en commençant par une annonce officielle du fait qu’il n’est pas candidat à l’élection présidentielle du 24 février 2024. Puis, s’engager à organiser des élections libres et transparentes. Les divisions et les provocations ne doivent pas prendre le pas sur la recherche de solutions communes.
- La mise en place des conditions pour que son successeur puisse mettre en œuvre des réformes politiques et institutionnelles pour garantir une indépendance des institutions et la séparation des pouvoirs. Ces dispositifs doivent être renforcés pour garantir des élections transparentes et équitables.