La difficile émergence d’institutions politiques en Guinée : Le temps des leçons-Première partie
Tirer les leçons de l’expérience démocratique en Guinée et de ses consultations électorales peut se faire sous plusieurs angles d’attaque. Parmi eux, on peut retenir la culture de parti-état qui a fait des partis politiques guinéens des instruments au service du chef de l’état en exercice ou des têtes d’affiche de l’opposition. Cette culture explique largement les dysfonctionnements des institutions politiques et ses fâcheuses conséquences dont les risques de pérennisation de la dictature, même avec des élections, mais aussi, l’inadéquation des partis politiques par rapport à l’histoire de la nation et aux besoins des populations. La déconnection de la politique des nécessités historiques de la Guinée a fait des partis des machines exclusivement vouées à la quête de pouvoir. Faire de la politique c’est chercher une place. Telle est la perception cynique mais bien fondée des citoyens qui les amène à démissionner de l’arène politique. Ceci en retour donne libre cours au minimalisme ethnique des leaders.
La question introductrice de savoir s’il y a réellement des partis politiques en Guinée n’est ni de la dérision, ni de la provocation.
Si on prend pour critères de définition de parti, une institution qui a pour vocation l’établissement, l’approfondissement et l’extension des contrôles du pouvoir par le peuple, la réponse à la question est non. Aussi, si les critères sont qu’un parti est une institution qui apporte des réponses adéquates aux besoins réels des populations (exprimés ou diffus) et mobilisent les citoyens dans des mesures curatives du passé, la réponse est encore non.
Si par contre les critères retenus sont qu’un parti est un moyen de promotion personnelle ou de carrière, avec des mouvements de soutien à une personne ou à un groupe de personnes sur la base de l’identification régionale et ethnique, de la défense d’intérêts partisans sans égard aux standards de justice et de citoyenneté, la Guinée est alors riche en partis politiques.
Un troisième critère consisterait à se demander si les institutions politiques guinéennes sont des embryons de partis du futur. Un tel critère est plus un constat de l’inexistence de partis politiques adéquats.
Enfin, si on se réfère à des faits récents, on notera une déconcertante légèreté des mœurs politiques qui sont en soi de fortes présomptions de l’inexistence de partis dignes de ce nom en Guinée. Naguère des leaders politiques pourfendaient le régime du RPG, en appelant à l’insurrection populaire. D’autres, demandaient l’union sacrée autour de leur personne. La priorité des priorités était – clamaient-ils – de balayer Alpha Condé. Une élection bâclée aura suffi pour soulever leurs atours et révéler derrière leurs péroraisons rien que des ambitions personnelles. En outre, les alliances spontanées – sans consultation des militants, sans congrès et sans débats contradictoires – confirme la pratique incrustée d’une forme dégénérée de politique dont seuls les opportunistes peuvent être adeptes.
L’objectif de cette série en 5 parties est d’explorer certaines des carence des institutions politiques guinéennes et les sources de l’inconsistance des leaders. Ensuite, en se basant sur des standards acceptés de définition d’un parti politique, mais surtout sur l’expérience de la nation guinéenne, le papier va soumettre au débat des voies de remédiations à ces dangereuses carences qui ont le potentiel de maintenir la Guinée dans l’ornière de la faillite et des dictatures.
Réduction et personnalisation des partis
Comme beaucoup de maux de la Guinée, on peut tracer au totalitarisme du PDG, l’origine de la culture d’excessive personnalisation des partis politiques guinéens et de leur réductionnisme. Succinctement, dans le contexte colonial de l’après-guerre, avec l’abolition de l’indigénat, les associations régionales évoluèrent en mouvements d’émancipation. Avec la loi-cadre accordant l’autonomie interne aux colonies françaises la section du RDA, le PDG, devint une institution d’exercice d’un pouvoir qu’elle n’avait pas conquis. Les partis progressistes militants, comme le PAI n’avaient pas encore une implantation solide. Ensuite, l’adhésion volontaire des concurrents politiques au PDG, dans la ferveur du référendum pour l’indépendance, consolida rapidement la mainmise du PDG-RDA sur le pays. La conjonction de ces facteurs mit en motion les séquences d’émergence du fascisme du parti-état avec tous ses ingrédients : le culte de la personnalité, la concentration et l’arbitraire des décisions, l’embrigadement des populations et le quadrillage du pays tous accompagnés de la répression préventive du «complot permanent».
Dans la chaotique expérience de démocratisation de la Guinée post-PDG, les partis qui ont émergé sur la scène nationale restent marqués par la tare incrustée de culte de la personnalité et des conformismes sociaux engendrés par la répression du PDG. Les institutions politiques sont imprégnées d’une culture d’étouffement des problèmes et de fuite en avant, de débats conventionnels et de conflits latents. Toute une sociologie est nécessaire pour cerner les effets du totalitarisme sur la psyché collective et la vulnérabilité des citoyens guinéens. Il est impossible de cerner les comportements politiques ou sociaux des guinéens si on omet l’héritage du totalitarisme. Qu’il s’agisse des slogans, du centralisme forcené, de la soumission à la place de la conviction, de la prédilection pour la propagande vide et de la violence verbale au lieu de l’éducation par le débat, les comportements politiques guinéens restent profondément marqués par la pratique du parti-état. La totale incarnation d’un parti par son leader est un dérivé du PDG qui voulut masquer cette inféodation à la personne de Sékou Touré en prétendant être le représentant du peuple de Guinée en entier. Dans la pratique d’aujourd’hui, le sens commun parle du parti d’un tel ou d’un tel, à la place des sigles ou des dénominations officielles. Sur le plan symbolique, hier le slogan de révolution servait de fourre-tout, d’excuse pour la paresse intellectuelle, de justification de l’activisme et des abus des médiocres. Aujourd’hui on lui a substitué le slogan de démocratie. Ensuite, comme hier, l’invocation du nom du chef et de ce slogan autosuffisant suffit pour fermer le prétoire.
L’idéologie des partis, leur coloration ou leurs orientations politiques sont absentes de tout débat. Certes le pluralisme a rompu avec l’embrigadement du parti unique. Mais la discrimination des engagements politiques individuels se fait sur des bases arbitraires et affectives: ethnie, copinages, défense d’intérêts immédiats etc. Ce réductionnisme à son tour influence et renforce le fonctionnement des partis avec des tabous (ethniques notamment) et des adhésions irréfléchies qui ossifient les institutions politiques. L’absence de débats couronne le tout en ne laissant place que pour des compétitions centrées sur les personnes.
Il est certes illusoire de séparer les institutions des hommes qui les animent. Et, dans le contexte de «l’éveil africain» de l’après-guerre, l’identification des institutions politiques à des hommes était presque une nécessité. Toutefois, dans l’évolution politique de l’Afrique des indépendances, le règne et l’héritage du PDG constituent un tragique hiatus. Il a enfanté des formes spécifiques de morales et de pratiques politiques ; typiquement guinéennes. Le PDG était organisé autour de la survie et du prestige de son chef suprême. Il en est ainsi des chefs inamovibles des partis politiques guinéens actuels. Au sein de ces partis, les enjeux de développement et de progrès– à supposer qu’ils existent autrement que sur papier – sont relégués au second plan. Le militantisme a été réduit à des choix simplistes – la coloration ethnique et l’allégeance à un chef – qui favorisent inévitablement la montée des médiocres et le clientélisme. Au lieu d’être des véhicules d’enracinement de la citoyenneté – par la justice pour tous – les partis s’enlisent dans des luttes de préséance, avec des engagements frivoles, des retournements déroutants de vestes, des alliances contre nature tous dus à la mainmise des plus manipulateurs sur les institutions, l’aliénation des militants à des causes émotionnelles –par l’intimidation et le chantage.
Une sous-culture de cynisme décrète sentencieusement que c’est cela la «réalité guinéenne». Et qu’il serait naïf et contreproductif de chercher à s’en échapper. Ce cynisme n’est en fait que la conséquence de pratiques politiques étalées. Il n’est pas une explication et ne cherche qu’à éviter toute discussion au profit du statuquo. Il fait partie de l’arsenal de conservatismes politique. Sa mise en avant occulte le fait que toute réalité sociale n’est qu’une construction historique. En tant que telle, elle doit être soumise à l’analyse, combattue dans ses effets nocifs ou éliminée pour que tout progrès prenne racine.
Ourouro Bah